Comment donner un visage humain à la vérité sans la
défigurer?
Sur le pragmatisme de H. Putnam
Claudine Tiercelin. Université de Paris XII.
(Publié in Revue Internationale de Philosophie,
n°207, 1999/1, p. 37-60
On associe souvent le succès que connait, après une longue
éclipse, le pragmatisme, au regain d’intérêt que suscite aujourd’hui l’éthique,
et à la nécessité de tenir compte, en philosophie, de la raison pratique autant
que théorique [1].
Avec Rorty, Putnam est l’un de ceux qui contribuent le plus à faire revivre la
force des réflexions en ce domaine des pragmatistes classiques (James et Dewey
en particulier), à en retrouver la trace chez des auteurs comme Wittgenstein
(ou lui-même), et surtout à en tirer les enseignements pour le “débat
philosophique contemporain”.
Plus rare avait été, jusqu’à une date relativement récente,
la remise à l’honneur de certaines analyses pragmatistes, notamment en matière
de perception ou de vérité. Peut-être parce qu’il paraissait peu opportun de
reprendre un dossier définitivement clos, soit par les attaques sévères (de
Moore, Russell, et bien d’autres) contre la conception pragmatiste de la
vérité, soit à l’inverse, par les pragmatistes eux-mêmes, qui auraient démontré
l’inutilité de réflexions épaisses, en un mot, métaphysiques, sur des concepts
de ce genre. Comme le note Putnam, au début de l’étude qu’il consacre à la
théorie de la vérité de William James:
“Les déclarations sur la nature de la vérité dans Le pragmatisme suscitèrent des
hurlements d’indignation (par ex. Russell 1945) tout autant que des éloges
exagérés. Les hurlements (et certains des éloges) venaient de lecteurs qui
pensaient que James identifiait la vérité à tout ce qui nous donne de la
“satisfaction à croire”: les critiques croyaient que ceci revenait à de
l’irrationalisme, alors que les enthousiastes pensaient que l’idée selon
laquelle la vérité colle avec la réalité
mérite d’être abandonnée
(Rorty,1982), et le pragmatiste italien Giovanni Papini pensait que
l’irrationalisme est une bonne chose” [2]
Aussi les réflexions auxquelles se livre
Putnam, notamment dans ses derniers écrits, sur la vérité et le réalisme[3],
sont-elles particulièrement précieuses: car le tour de plus en plus ouvertement
”pragmatique” que prend ce “voyage du
familier au familier ” ou cet “aller-retour du réalisme au réalisme”, comme
Putnam dépeint lui-même son itinéraire, non seulement nous éclaire sur ce que
pourrait être, en philosophie, cette “voie médiane entre la métaphysique
réactionnaire et le relativisme irresponsable” (DL,447) à laquelle aspire
depuis toujours Putnam, mais nous permet aussi de réévaluer l’apport
philosophique du pragmatisme.
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Réalisme interne et pragmatisme: premières approches
Le pragmatisme de Putnam n’est pas nouveau: c’est
même—quelle que soit l’évolution qu’il a connue, comme la plupart des concepts
putnamiens et notamment le réalisme—l’un des éléments les plus anciens et les
plus constants de sa philosophie: non seulement par la présence, dès le début,
des noms de Peirce ou de Dewey, aux côtés de ceux de Tarski ou de Carnap, dans
les analyses sur la vérité[4],
mais aussi et surtout, et bien que sous une formulation propre à Putnam, par la
nature des thèmes récurrents dans ses écrits.
Plus que celui d’offrir une définition formelle de la nature
des concepts philosophiques, Putnam préfère revendiquer le droit de proposer
une “image” (picture) des choses, et
rappelle que les philosophes— les pragmatistes en sont un bon exemple(CCWJ,
183)— sont souvent meilleurs par ce qu’ils nient
que par ce qu’ils proposent. L’un des adversaires le plus constants de
Putnam est le réalisme métaphysique ou “externalisme”, auquel sont associés
trois thèmes fondamentaux: (1) “Le monde est constitué d’un ensemble fixe
d’objets indépendants de l’esprit.(2) Il n’existe qu’une seule description
vraie de “comment est fait le monde”. (3) La vérité est une sorte de relation
de correspondance entre des mots ou des symboles de pensée et des choses ou des
ensembles de choses extérieures”(RTH, 61).
A cette perspective, ou “point de vue de Dieu”, Putnam
oppose très tôt celle qu’il appelle dans RTH “internaliste”: la question “de
quels objets le monde est fait” n’a de sens que dans une théorie ou description
“vraie” du monde; il n’y a aucun “point de vue de Dieu”; il n’y a que “différents
points de vue de différentes personnes, qui reflètent les intérêts et les
objectifs de leurs descriptionss et leurs théories”. Sur cette thèse du réalisme interne, Putnam ne variera pas; au contraire, il ne cessera de la
souligner: “Cela n’a aucun sens de penser que le monde se divise en “objets”
(ou “entités”) indépendamment de notre usage du langage. C’est nous
qui divisons “le monde”—à savoir, les événements, états de choses, et systèmes
physiques, sociaux, etc., dont nous parlons— en des “objets”, “propriétés”, et
“relations”, et ce de toutes sortes de manières” (RP, 243). Ainsi, “nous
pouvons en partie décrire le contenu d’une pièce en disant qu’il y a une chaise
en face d’un bureau, et en partie décrire le contenu de la même pièce en disant
qu’il y a des particules et des champs de certaines sortes qui sont présents.
Mais demander quelle est de ces descriptions celle qui décrit la pièce telle
qu’elle est “indépendamment de la perspective”, ou “en soi”, n’a aucun sens.
Elles sont toutes deux des
descriptions de la pièce telle qu’elle est réellement” (RP, 247)[5]
.
A ce refus d’une dichotomie entre monde et langage (ou entre fait et théorie, valeur, ou
convention)— thèse de la “relativité conceptuelle”— Putnam associe une deuxième
idée force du réalisme interne, qui a trait à “l’image” de la “vérité” —plutôt
qu’à une “théorie de sa nature”—qu’il induit: “L’internaliste voit en la vérité
une sorte d’acceptabilité rationnelle (idéalisée)—une sorte de cohérence idéale
de nos croyances entre elles et avec nos expériences telles qu’elles sont représentées dans notre système de croyances
—et non une correspondance avec des “états de choses” indépendants de l’esprit
ou du discours” (RTH, 61). Plus
précisément: “Un énoncé n’ est vrai qu’au cas où un locuteur compétent
pleinement familiarisé avec l’usage des mots serait pleinement garanti à
utiliser ces mots pour faire l’assertion en question, pourvu qu’il ou elle soit
dans une position épistémique suffisamment bonne” (RP, 242).
Dès lors on ne s’étonnera pas que Putnam associe d’emblée,
au point de vue internaliste, le “non-réalisme”, la “théorie de la
vérité-cohérence”, et… le “Pragmatisme”, même si, ajoute-t-il alors, ces noms
“ont tous des connotations inacceptables du fait de leurs autres applications
historiques” (RTH, 62); en tout cas, revenant dans RR sur sa perspective
énoncée dans RTH, il indique qu’il “aurait mieux fait de l’appeler simplement
réalisme pragmatique ”(RR, 187).
Chacun aura en effet reconnu des thèmes caractéristiques du
pragmatisme classique: le refus du réalisme métaphysique est, dès le début le
leitmotiv de Peirce, dont l’opposition au “réalisme platonicien”, est au point
de départ de sa position sur le problème des universaux [6].
Mais aussi toute une série de réflexions sur le sens à donner à la vérité.
Les pragmatistes classiques et la vérité.
Sans doute est-il risqué de confondre sous une même
appellation des pragmatistes aussi différents que Peirce, James, Dewey,
Schiller, Papini, Vailati, etc. , puisqu’il est déjà risqué d’identifier une théorie de la vérité de Peirce (il
en aurait soutenu au moins treize) [7]
ou une théorie de la vérité de James[8].
Toutefois, certaines caractéristiques se dégagent de la démarche des
pragmatistes classiques.
Commune sera à
Peirce, James (mais aussi à Dewey) l’idée que la vérité doit être soumise à un
examen de sa signification, faire
l’objet d’une définition, non pas nominale ou abstraite, mais réelle (P,
fr.52): la vérité n’est pas une propriété,
“statique, inerte”de nos idées, (P,142-3), ou une “copie” de la réalité
correspondante —à quoi cela pourrait bien mener une telle duplication?— c’est
un instrument de recherche, qui nous
permet à l’occasion, de “refaire le monde” (P, fr.53).
Expliquer la vérité, c’est la rapporter à des croyances. Comme Peirce, James rappelle
que la méthode pragmatique interprète
chaque conception d’après ses conséquences
pratiques: la seule fonction de la pensée étant d’établir une croyance,
c’est-à-dire une habitude d’action, “les différentes croyances se distinguent par
les différents modes d’action qu’elles produisent” (5.398). Il ne saurait donc
y avoir “de nuance de signification assez fine qui ne puisse produire une
différence dans la pratique”(5.400). Les seules différences non illusoires sont
donc celles quifont la différence; la vérité se concevant “en
action”. Comme le suggère Putnam, “ce que James et Peirce veulent nier, c’est
que la vérité aille plus vite que ce que les humains ou d’autres êtres
sensibles pourraient vérifier ou découvrir”(RHF,XX). Si “pratique” a un sens
plus individualiste, vital et émotionnel pour James[9],
là où Peirce, refusant cette lecture “nominaliste”, lui donne le sens de but
(8.322) ou de visée rationnelle (au sens kantien) (5.412), James n’est pas allé
aussi loin qu’on le dit en ce sens: certes, les croyances ont avant tout une
importance vitale, et n’auraient jamais acquis le nom de croyances vraies si
elles n’avaient pas d’abord été utiles. Les croyances bonnes ou “avantageuses”
sont donc bien en un sens celles qui ne risquent pas d’être contredites par
l’expérience, nous prémunissant ainsi contre des échecs ultérieures, mais ce
sont aussi celles qui nous permettent de maximiser nos vieilles croyances tout
en préservant la consistance (la cohérence est donc aussi un élément décisif):
“Par-dessus tout, nous trouvons la consistance satisfaisante” (MT, 105). C’est du reste la
raison pour laquelle, ayant fait observer qu’une croyance dans l’Absolu lui
offrirait une sorte de “vacances morales” et serait bonne, au sens de “agréable
à croire”, James ne l’en rejette pas moins, parce qu’elle est non-consistante
avec d’autres croyances[10],
et il estime, comme Peirce —qui se dit finalement proche de lui (5..494)— que
c’est réduire le sens de pratique, que de l’opposer à “théorique”, là où il
entendait pour l’essentiel l’opposer à “vague ou abstrait”(MT, 112-113;
fr.,182).
Comme y insiste Putnam, la vérité est indissociable de la
vérification, justification, ou confimation de la croyance:
“… Les idées vraies sont celles que nous pouvons
nous assimiler, que nous pouvons valider, que nous pouvons corroborer de notre
adhésion et que nous pouvons vérifier. Sont fausses les idées pour lesquelles
nous ne pouvons pas faire cela. Voilà quelle différence pratique il y a pour nous dans le fait de
posséder des idées vraies; et voilà donc ce qu’il faut entendre par la vérité,
car c’est là tout ce que nous
connaissons sous ce nom!
…La vérité d’une idée n’est pas une propriété qui se
trouverait lui être inhérente et qui resterait inactive. La vérité est un événement qui se produit pour une idée. Celle-ci devient vraie; elle est rendue vraie par les événements. Sa
vérité est en fait un événement, un processus: à savoir le processus
qui consiste à se vérifier elle-même, sa véri- fication . Sa validité est le processus de sa valid-ation” (P, 97, trad.fr. modif., p. 144).
Comme James, Peirce insiste aussi —l’influence de Darwin n’y est sans doute pas pour rien— sur le
caractère dynamique (James dit “génétique”) de la vérité. Mais (comme après lui
Dewey), il se soucie plus que James des modalités et de la méthode régissant ce
processus, défini comme enquête. En définitive, la seule définition ousignification réelle de la vérité est
celle qui permet de déterminer, dans le cadre d’une enquête (inquiry) celles qui, parmi nos croyances, résistent au doute
et sont stables (5. 416; 5.375).
En définissant le vrai comme ce vers quoi tend l’enquête,
Peirce fixe aussi celle— autre que les méthodes (d’autorité, de ténacité et a
priori) qui en sont incapables [11]—
qui est seule à même de stabiliser la croyance: la méthode scientifique, qui tire sa force (non d’une supériorité
magique de la science) mais de la contrainte qu’exerce sur elle la réalité,
seule capable d’opérer, par l’indépendance qui est la sienne par rapport aux esprits,
le consensus de la communauté des
individus. Pour Peirce, la vérité est
donc indissociable d’une certaine forme de réalisme et de consensus.
Dewey suivra Peirce dans cette idée que la vérité est la fin de l’enquête, et
dira que c’est la “la meilleure définition qui ait été donné de la vérité” [12],
la méthode de l’enquête nous donnant le droit d’affirmer (warranted assertibility), permettant à nos croyances de recevoir le
statut de connaissances (knowledge).
Comme l’a bien vu Putnam, si James s’intéresse moins que
Peirce et que Dewey à l’enquête
elle-même, il insiste autant qu’eux sur le pouvoir contraignant de la réalité, avec lequel nos croyances doivent non
en toute rigueur correspondre (vision
des choses moins fausse pour tous deux qu’inutile), mais être en accord (agree).
L’imagerie philosophique (Moore, et Russell) autant que
populaire a associé le pragmatisme, et notamment celui de James, à l’équation:
“le vrai c’est l’utile”, et l’a ridiculisé en le présentant comme une idéologie
—typiquement américaine— de marchands et d’ingénieurs: le vrai, c’est ce qui
paye, c’est ce qui a des effets. Comme le note Putnam, cette interprétation
s’est faite au mépris des textes et de leur contexte. (CCWJ.166). Sous cette
forme grossière ou vulgaire, la thèse est en effet ouverte à des objections
évidentes: il y a de nombreuses choses qu’il est utile de croire,mais qui sont
fausses, et vice-versa. Il y a aussi bien des cas où l’ignorance, la crédulité,
voire la stupidité se révèlent plus payantes que la connaissance et que
l’intelligence. Et il y a une infinités de vérités qu’il est préférable, voire
franchement inutile de croire; Au reste, quel est le critère de l’utilité? Outre le fait qu’il est très difficile de
déterminer quand les conséquences d’une croyance sont bonnes, le critère de
l’utilité dépend le plus souvent de nos opinions. Il peut donc varier d’un
individu à l’autre, d’une communauté à
l’autre, en sorte que le pragmatisme a vite fait de se ramener à du relativisme.
.
Mais, comme le note Putnam (CCWJ, 180), c’est manquer
l’essentiel. L’enquête ne s’achevant que par l’acquisition d’une croyance
stable, le vrai, est bien (pour Peirce comme pour James), ce qu’il est
satisfaisant de croire. Et comme être satisfait par une croyance c’est avant
tout ne pas être gêné par un doute, la vérité est donc un peu redondante par
rapport à la croyance. Mais ce n’est pas dire que la vérité soit un
faux-problème, ni que vérité et satisfaction soient deux termes synonymes, ou
que l’on doive interpréter satisfaisant comme “émotionnellement” confortable.
Dans un texte de 1908[13],
James récuse l’interprétation de Russell selon laquelle il assimilerait les
conséquences utiles ou avantageuses d’une croyance à un simple critère de
vérité[14].
Ces conséquences, écrit James “sont proposées, comme la causa existendi de nos croyances, non pas comme leur
prémisse ou leur base logique, moins encore comme la chose qu’elles énoncent ou
leur contenu objectif. Elles assignent la seule signification pratique
intelligible à la différence que comporte, entre nos croyances, notre habitude
de les appeler vraies ou fausses” (fr.238)[15].
Les pragmatistes auraient aussi, selon Russell confondu critère
et définition.. Mais le reproche
est mal venu, puisqu’une telle dichotomie est justement celle que leur
conception de la signification juge inacceptable. Comme le note S. Haack, si
c’est là une confusion, il faut le montrer en critiquant leur théorie de la
signification elle-même[16].
Si on laisse donc de côté, les critiques, en partie
injustifiées, qui s’adressent à la définition de la vérité en termes d’utilité
ou de satisfaction, reste la difficulté majeure qui se pose à la conception
pragmatiste et qui a trait à la notion de vérification. Mais ici encore, la
prudence s’impose: comme le voit bien Putnam[17],
et même si James s’intéresse plus aux vérités particulières que l’on vérifie à
court terme qu’à la totalité constituée par les vérités individuelles
obtenues à long terme, 1) il ne
limite pas les idées vraies à celles qui sont effectivement vérifiées mais aux
idées dont il est possible de dire qu’elles le seront, donc
aux idées vérifiables, et à
long terme, (l’influence de Peirce, comme le dit Putnam est ici évidente);
2) il reconnait que la plupart des
croyances que nous jugeons vraies ne sont au mieux vérifiées que de manière indirecte: (“ un processus indirect ou simplement virtuel de
vérification peut donc être aussi vrai qu’un processus direct et complet” P,
fr. 148); ce pourquoi “la vérité vit à crédit, la plupart du temps. Nos pensées
et nos croyances “passent” comme monnaie ayant cours, tant que rien ne les fait
refuser, exactement comme les billets de banque, tant que personne ne les
refuse” (ibid.); 3) certaines propositions peuvent être dites vraies ou
fausses, même si personne ne les a jamais vérifiées ou falsifiées, ou même
simplement envisagées (simplement, cette manière de s’exprimer n’a qu’un
intérêt relatif).
Le pragmatiste ne soutient donc pas (du moins pas
nécessairement) une théorie de la vérité selon laquelle la vérité c’est la
vérification (ou vérificationnisme). En revanche, il peut déclarer, non
seulement que le vrai est le vérifiable, ou, ce que fait surtout Peirce,
soutenir une théorie vérificationniste de la signification : la
signification d’une proposition est sa conformité avec l’expérience possible,
ou sa vérification y compris idéale.
(et c’est du reste ce qui confère à la signification, Peirce ne cesse d’y
insister, une indétermination irréductible).
Attentif aux contresens effectués par ses détracteurs sur la
définition pragmatiste (et notamment jamesienne) de la vérité, Putnam s’attache
à montrer que la grandeur des pragmatistes consiste dans l’interdépendance qu’ils ont su voir entre le vrai et l’utile, la
pratique, ce qu’il est satisfaisant de croire, ce qu’il faut vérifier,
confirmer, ou ce dont il faut donner des conditions d’assertabilité, et non
dans la réduction de celui-ci à ceux-la. Quels que soient les défauts
finalement “désastreux ” de sa position, James n’a pas confondu vérité et vérification ou confirmation et il a su mieux
que quiconque montrer le lien entre la vérité et l’évaluation sans en tirer de conclusions relativistes.
L’humanisation de la vérité
D’emblée, Putnam
voit donc le parti qu’il peut tirer du pragmatisme dans son projet (pleinement
en accord avec l’ “anti-réalisme” de Dummett) d’une “sémantique
vérificationniste”, mais qui est de “combiner le réalisme avec une concession à
un vérificationnisme modéré”— il ne peut y avoir de vérité qui soit totalement
transcendante à nos capacités de la reconnaître (recognition-transcendent)— et qui doit
permettre de comprendre le lien entre la notion de vérité, la manière dont on utilise des mots (y compris l’acte de
langage de l’assertion), et les notions d’acceptabilité rationnelle et de
conditions épistémiques suffisamment bonnes” (RP, 242).
Une première évolution dans le pragmatisme se fait dans le
sens d’une humanisation de cette
notion. Sensible aux objections adressées à la conception peircienne de
conditions idéales[18],
Putnam la remplace par celle de “conditions épistémiques suffisamment bonnes,
pour parvenir à une nouvelle définition dans RHF —qu’il entend de nouveau
rattacher à l’héritage pragmatiste, et aussi démarquer du relativisme de Rorty:
“1) Dans des circonstances ordinaires, il y a habituellement
un fait décisif qui permet de dire si les énoncés que font les gens sont
garantis ou non. 2) Qu’un énoncé soit garanti ou non ne dépend pas de la
question de savoir si la majorité ou si l’un de nos pairs culturels serait prêt
à dire qu’il est garanti ou non garanti.3) Nos normes et modèles
d’assertabilité sont des produits historiques; ils évoluent avec le temps.4)Nos
normes et modèles reflètent toujours nos intérêts et nos valeurs. Notre
conception de l’épanouissement intellectuel fait partie (et n’a de sens qu’en
faisant partie) de notre conception de l’épanouissement humain en général.5)
Nos normes et modèles de quoi que ce soit —y compris
d’assertabilité garnatie— sont susceptibles d’être réformés. Il y a des normes
et des modèles plus ou moins bons”(RHF, 134-135).
Cette évolution va de pair avec l’accent mis sur la
dimension pratique (et carrément éthique) du pragmatisme et l’intérêt accru de
Putnam pour les conceptions morales, développées notamment par James et par
Dewey.
Mais elle s’accompagne aussi de précisions sur
l’interprétation correcte des termes d’ “usage”, et de règle, qu’il faut comprendre (au sens de Wittgenstein)
d’une forme de vie: contrairement à
sa vision passée (“fonctionnaliste”) des choses, cette conception de l’usage
—présente dans le programme dummetien pour une théorie de la signification
comme dans les références que fait Rorty à l’idée d’un discours normal régi par
des “critères” et des “algorithmes”— lui parait désormais erronée (cf. RR,
chap.4):
“Apprendre à utiliser des mots ressemble plus à apprendre à
jouer d’un instrument de musique qu’à extraire des racines carrées. La
sensibilité entre en jeu, ainsi que la rationalité informelle, et il y a place
pour la créativité individuelle” (RP, 243).
Le retour en force du réalisme
A ce stade en effet,
c’est moins le réalisme métaphysique, que le relativisme irrationaliste qui
paraît menaçant. Aussi Putnam s’mploie-t-il à atténuer la dimension épistémique de la vérité, et à redire ce
qu’il y de juste dans l’intuition réaliste:
“Dans Raison, vérité et histoire,
précise-t-il dans RR, j’ai expliqué mon idée ainsi: “la vérité est
l’acceptabilité rationelle idéalisée”. Cette formulation a été prise par
beaucoup comme signifiant que l’“acceptabilité rationnelle” (et la notion de
“situation épistémique meilleure ou pire”, que j’ai également utilisée) était
supposée (par moi) être plus fondamentale que la “vérité”; que je
proposais une réduction de la vérité à des notions épistémiques. Rien
n’était plus éloigné de mes intentions. La suggestion est simplement que la
vérité et l’acceptabilité rationnelle sont des notions interdépendantes.
Malheureusement, dans Raison, vérité et histoire, je n’ai donné
des exemples que d’un côté de l’interdépendance: des exemples sur la manière
dont la vérité dépend de l’acceptabilité rationnelle. Mais il est clair à mes
yeux que l’interdépendance joue des deux côtés: qu’une situation épistémique
ait ou non la moindre valeur dépend habituellement de ce que de nombreux
énoncés différents sont ou non vrais” (RR, 189-190).
En un mot si la suggestion qui constitue l’essence du
“réalisme interne”, “c’est que la vérité ne transcende pas l’usage”, il importe
de ne pas donner une lecture réductrice de celui-ci (ibid.), car “c’est une propriété de la vérité que le
fait qu’une phrase soit vraie est logiquement indépendant de la question de
savoir si la majorité des membres de la culture croient qu’elle l’est”
(RR,180).
Sans doute est-ce la raison pour laquelle, dans les Dewey
Lectures, après avoir une nouvelle fois salué l’effort de James pour montrer le
lien entre le monde et les intérêts de ceux qui le décrivent, Putnam admet
qu’il ne peut se ranger complètement de son côté, (mais pas non plus du côté de
son critique réaliste traditionnnel), car s’il est vrai que “le monde est ce
qu’il est, indépendamment des intérêts de ceux qui le décrivent”, il n’empêche
que “ces intérêts font eux-mêmes partie du monde”, et que “la vérité concernant
ces interêts serait différente si ces intérêts étaient différents” (DL, 448).
Toutefois Putnam reconnait “être d’accord” avec ce que fait remarquer la
tradition réaliste: “lorsque je parle de quelque chose qui n’est pas
causalement touché par mes propres intérêts, —par exemple, lorsque que je fais
remarquer qu’il y a des millions d’espèces de fourmis dans le monde— je puis
aussi dire que le monde serait le même de ce point de vue, même si je n’avais
pas ces intérêts, n’avais pas donné cette description,etc.” Et c’est ce qui lui
fait “déplorer la suggestion de James selon laquelle le monde que nous
connaissons est dans une mesure indéterminée le produit de notre propre esprit”
(DL, 448), ou encore ses “errements panpsychistes ou idéalistes”[19].
C’est ce refus du réductionnisme qui anime les critiques
conjointes que fait Putnam du relativisme culturaliste rortyen et des
définitions “formalistes” [20]
de la vérité qui s’imaginent avoir “résolu” ou “dissous” le problème de la
vérité (RR, 109, WL, 322 —que ce soit sous leur forme sémantique (Tarski),
redondantiste (Ramsey, Field, RHF, 148), ou déflationniste (Horwich)[21].
“Je ne crois pas, ajoute Putnam, que nombreux seraient les
philosophes qui considéreraient le problème de la vérité comme résolu s’ils devaient admettre que la solution implique que ce
qui est juste (rightness) en un sens objectif quelconque, est une
propriété culturellement relative. (En particulier, les relativistes culturels
eux-mêmes ne cessent pas de croire que leurs propres conceptions sont justes
simplement parce qu’ils ne reçoivent pas l’accord de leurs “pairs culturels”
(WL, 324).
Ce qu’il s’agit donc de préserver, ce n’est pas seulement le
réalisme interne, contre les menaces du relativisme, ou encore l’intuition
réaliste (qui lui fait très tôt avoir des réserves à l’égard de la sémantique
vérificationniste, anti-réaliste de Dummett) à propos des énoncés sur le passé,
ou des énoncés qui semblent bien être
totalement transcendants à la
reconnaissance (par exemple: “il ne se trouve pas y avoir d’extra-terrestre
intelligent” (RP, 289, n5): c’est toute la théorie formaliste de la vérité qui
parait désormais à Putnam oublier l’idée qu’il y a quelque chose de substantiel dans la notion de vérité,
ainsi qu’ il le développe dans deux articles de Words and Life [22]
Putnam serait-il devenu, “à la fin du siècle, un réaliste
métaphysique”, comme l’en accuse Rorty?
Vers un réalisme naturel ou pragmatique
Le problème devient désormais de maintenir l’intuition
réaliste sans revenir au réalisme métaphysique. Ce qui se traduit chez Putnam
par une accentuation de sa relation à Wittgenstein et de l’interprétation
réaliste qui en est proposée (par des auteurs comme Cora Diamond), et aussi,
dans la prise de conscience de plus en plus aigüe de la nécessité d’une
réflexion sur la perception pour
comprendre la manière dont le langage “s’accroche” au monde, laquelle le
conduit à l’adoption d’un réalisme direct ou plutôt naturel ou “pragmatique”
(dont les héros philosophiques s’appellent Witgenstein, Dewey et James, mais
aussi Aristote, Husserl, et surtout Austin).
Selon Putnam, ce réalisme naturel implique de notre part que
nous renoncions à l’idée fatale d’une “interface entre nos facultés cognitives
et le monde extérieur —ou pour le dire autrement, l’idée que nos facultés
cognitives ne peuvent pas atteindre complètement les objets eux-mêmes” (DL,
453). Le réaliste pragmatique est à l’inverse quelqu’un qui, “accomplissant un
voyage du familier au familier”, est capable de comprendre que les choses du
monde extérieur peuvent être réellement expérimentées
et pas seulement au sens où elles
sont la cause d’expériences, de qualia,
ou d’impressions, qui seraient de simples affections de notre subjectivité[23].
Cet accent mis sur l’intuition réaliste explique non
seulement pourquoi Putnam minimise les aspects “nominalistes” inhérents au pragmatisme
jamesien, pour se concentrer sur son réalisme épistémologique (développé dans la théorie de l’empirisme radical),
mais aussi pourquoi sans doute, il minimise, dans la définition jamesienne de
la vérité les aspects subjectivistes ou directement épistémiques, pour insister
sur la dimension peircienne (réaliste) injustement sous-estimée par les
commentateurs.
Mais il s’agit aussi (pour éviter l’accusation de réalisme
métaphysique) de redéfinir le réalisme sans
la métaphysique. C’est le second point fort de la position de Putnam, et dont
l’inspiration, ici encore est Wittgenstein ( interprété comme un réaliste et un
pragmatiste); aussi après avoir pourtant dit que “s’il y a bien un intuition
forte du “réalisme”dont on ne devrait pas se défaire, c’est que la vérité est bien en effet une propriété” (RHF, 149), voit-on
Putnam soutenir à présent:
“L’autre solution correcte que celle qui consiste à penser à
la vérité comme à une “propriété
substantielle” à la réaliste
métaphysique, n’est pas de penser que nos énoncés sont de simples marques ou
bruits que notre communauté nous a appris à associer à leurs conditions de
vérification concluantes (comme dans la version dummettienne de l’
“anti-réaliste global”), ou à associer à un “comportement de paris” d’une
manière qui soit “une fonction des circonstances observables” (comme dans la
version de Horwich). L’autre solution correcte, c’est de reconnaître que les
énoncés empiriques font déjà certains postulats sur le monde— toutes sortes de
postulats très différents sur le monde— qu’ils contiennent ou non les mots “est
vrai”. Ce qui est erroné dans le déflationnisme, c’est qu’il ne peut à
proprement parler pas intégrer le truisme qui veut que certains postulats sur
le monde sont (pas simplement assertables mais ) vrais. Ce qui est juste dans le déflationnisme c’est que si
j’asserte que “il est vrai que p”, alors j’asserte la même chose que si
j’asserte simplement p. La confiance
qui est la notre; lorsque nous faisons des énoncés sur le passé, que nous
disons quelque chose dont le caractère juste ou erroné dépend dela manière dont les choses étaient alors (lorsque nous soutenons, par exemple qu’ “il
est vrai que Lizzie Borden a tué ses parents à la hache”), n’est pas quelque
chose qui nécessite l’idée métaphysique qu’il y a une “propriété substantielle”
dont l’existence sous-tend la possibilité même de notre utilisation du mot
“vrai” “ (DL. 502-3)[24].
Le pragmatisme, les
platitudes et la métaphysique.
Les lecteurs contemporains des pragmatistes semblent
aujourd’hui plus enclins à reprendre l’examen de la question de la vérité
qu’ils n’ont pu l’être à une certaine époque. C’est le cas de Putnam, mais même
aussi de Rorty, dont on a pu montrer, point par point, que la plupart des
assertions sur la vérité étaient en opposition directe avec celles de Peirce[25],
et qui paraît plus soucieux désormais de défendre une position “minimaliste”
sur la vérité, que d’enterrer une fois pour toutes le sujet. [26]
En revenant sur les analyses des pragmatistes sur la vérité
et le réalisme, Putnam répare une injustice, mais il propose aussi une certaine
lecture de l’héritage pragmatiste.
1) L’injustice méritait d’être réparée. Elle avait commencé
à l’être par Ramsey [27]
qui avait vu la fécondité de l’analyse pragmatiste de la vérité en termes de croyances et donc —en
un sens non behavioriste réductionniste—de dispositions à l’action, et compris
que le vrai ne se définissait pas uniquement par l’utile: une croyance est une
disposition à agir et est utile, si et seulement si la croyance est vraie”[28]
. Si les pragmatistes refusent donc la correspondance, ils insistent bien
(Peirce il est vrai, plus que James) sur le fait que la vérité est
indépendante, jusqu’à un certain point, de ce que nous croyons (en tout cas de
ce que chaque individu peut croire), et qu’en tout cas, la vérité impose un
certain “accord” avec la réalité.
Putnam va plus loin: La théorie pragmatiste de la vérité,
par les éléments épistémiques et réalistes qu’elle contient, évite les pièges
des théories classiques (cohérentistes, correspondantistes, platoniciennes) de
la vérité; en refusant d’ériger la vérité au rang d’une “propriété”, elle
dédramatise à l’avance les théories de la vérité et opère une certaine
déflation du concept. Mais cette critique féroce ne les empêche pas de tenir la
vérité pour une affaire sérieuse, un idéal
qui guide autant James que Peirce (MT, 142), et qui permet sans doute de
comprendre (CCWJ, 181) pourquoi James fait une distinction entre ce qui est
vrai relativement et ce qui l’est absolument (MT, 143).
La vérité est donc peut-être une platitude, mais c’est une
platitude sérieuse: s’il n’y a rien à dire sur la vérité, en revanche, il y a
tout à faire du coté de l’analyse de nos croyances et de nos assertions. Comme
l’a souligné S. Haack, la théorie pragmatiste évite ainsi le divorce de la
théorie de la vérité d’avec l’épistémologie (qui, aux prises avec les théories
classiques, engendre souvent la déception). Russell trouvait détestable cette
insistance sur la valeur marchande des croyances vraies, et voyait dans le
pragmatisme une philosophie d’ingénieurs, conduisant à “l’impiété cosmique”, ou
au fascisme(cf.op.cit. 30). Mais cette insistance sur la valeur expérientielle
des croyances vraies (des différences
que cela induit avec des croyances fausses) nous rend l’important service de
soulever la question négligée: que doit-on exactement attendre d’une théorie de
la vérité?[29]
Au demeurant, en définissant la vérité non par l’utilité de
ce que nous croyons en fait , mais
par l’utilité de ce que croirait un agent idéal, placé dans des conditions idéales,
ou comme le dit Peirce “à la limite de l’enquête”, les pragmatistes indiquent
que les critères d’utilité qu’ils visent sont d’abord et avant tout, des
critères cognitifs, ou épistémiques (ce qui n’est pas les limiter à des
critères intellectualistes)[30]
; le vrai, c’est ce qui paye, mais ce qui paye cognitivement, dans un domaine
où la valeur suprême (même si c’est plus net chez Peirce ou Dewey que chez
James) est comprise comme une valeur de connaissance
et d’enquête:
Que la vérité ne soit pas une propriété substantielle
“lourde” n’implique donc pas que ce ne soit pas une norme: c’est là un aspect de la vérité que Putnam continue à
considérer comme fondamental (RP, 243) : la vérité est ce que vise l’enquête, laquelle obéiit donc à
des “normes de rationalité”. Cette importance de l’enquête, chez Peirce comme
chez Dewey, Putnam la revendique désormais lui aussi, parce qu’elle lui paraît
offrir tout ce que la théorie carnapienne de l’enquête n’offrait pas: la prise
en compte de l’expérience, le modèle
intersubjectif d’une communauté de
chercheurs qui travaillent à partir de maximes
et non d’algorithmes (POQ, 71), en ayant en vue les “problème réels pour la
vie humaine (ibid.). Pour un pragmatiste, même la notion de “vérité” n’a aucun
sens dans la “solitude morale” (POQ, 72).
Le pragmatisme paraît ainsi à Putnam le meilleur rempart
contre le scepticisme et contre la crainte de la “perte du monde”; mais il
évite aussi par sa position critique les certitudes dogmatiques ( cf. la
distinction peircienne entre doute réel et doute fictif, ainsi que
l’affirmation du faillibilisme ou d’un “Sens Commun critique”)[31].
Que l’on puisse être à la fois faillibiliste
et sceptique constitue peut-être la vision de génie du pragmatisme américain (WL, 152).
2) Après s’être surtout concentrés sur l’importance de
l’apport des pragmatistes dans le domaine de l’éthique et de la pratique, les
derniers textes de Putnam semblent s’ouvrir davantage à ces questions, qui ne
peuvent que contribuer à mieux faire ressortir la fécondité et la complexité du
pragmatisme. Mais jusqu’à quel point cette lecture est-elle fidèle à l’héritage
pragmatiste?
Depuis RHF, et son rapprochement avec les pragmatistes mais
aussi avec des auteurs comme Wittgenstein ou Austin en apporte la confirmation,
on connait l’esprit qui anime la
démarche de Putnam en philosophie:
“Accepter l’”image” manifeste, le Lebenswelt, le monde tel
que nous en faisons réellement l’expérience, exige de nous qui avons reçu (pour
le meilleur ou pour le pire) une formation philosophique que nous regagnions et
notre sens du mystère (car il est bel et bien mystérieux que quelque chose
puisse être à la fois dans le monde et à propos du monde) et notre sens de la banalité (car
il est banal, après tout, que
certaines idées soient “déraisonnables”—ce sont seulement les notions étranges
d’”objectivité et de “subjectivité” que nous avons reçues de l’ontologie et de
l’épistémologie qui nous rendent inaptes à séjourner dans le banal”(RHF, 270).
Putnam a sûrement raison de penser que les pragmatistes,
attentifs qu’ils étaient à l’expérience, à la compréhension, à ce que
l’évidence peut avoir d’ “impondérable”(RP, 259), en un mot aux formes de vie,
peuvent l’accompagner, ainsi que Wittgenstein et Austin dans ce “voyage du
familier au familier”. Sans doute aussi a-t-il raison de penser que ce retour
doit, d’une manière ou d’une autre, consister en un retour à une forme de
réalisme[32],
voire de réalisme naturel. Au demeurant, Putnam est conscient de la difficulté
de ces retrouvailles avec une “deuxième naïveté”, et notamment des problèmes
qui se posent à une théorie de la perception s’inscrivant dans une position de
ce genre (cf. DL ou POQ, 66sq.). Bouveresse, —qui pense néanmoins que “la
direction que Putnam emprunte dans ses
réflexions sur le problème de la perception est pour l’essentiel la bonne”
(LPR, .26)— les résume assez bien:
Putnam pense que “nous pouvons laisser à la science toute latitude pour
décrire les conditions matérielles et physiologiques dont dépendent la
posession et l’exercice de nos capacités perceptuelles et conceptuelles, à la
condition qu’elle ne prétende pas avoir expliqué par là ces capacités elles
mêmes. Mais ce qui, dans ces conditions reste obscur est le sens auquel nous pouvons
dire néanmoins qu’elle nous fournit une explication au moins partielle de ce
qu’elles sont”. Ainsi, “on peut se demander si le choix qui est offert à une
“science de l’esprit” pour autant qu’il puisse exister une chose de ce genre,
n’est pas finalement entre les expliquer de la façon que Putnam appelle
“réductive, et ne pas prétendre les expliquer de quelque façon que ce
soit”(LPR, 19).
Expliquer sans réduire, est sûrement souhaitable: (et Putnam
dit que s’il y a bien quelque chose que “ses collègues wittgensteiniens n’ont
jamais réussi à lui ôter, c’est son désir d’expliquer
”). Mais est-ce possible, à moins de renoncer, d’une manière ou d’une autre, à
l’explication scientifique? De toute
évidence, les pragmatistes classiques (Peirce et Dewey) offraient peut-être des
“maximes” plus que des “algorithmes” en matière d’enquête, mais ils étaient
aussi soucieux d’en spécifier les formes (inductive, déductive, et abductive),
comme de dégager celle, parmi les méthodes, qui serait à même d’aider
“l’intelligence scientifique” à accéder à la vérité, et celle-ci est bien dite
“méthode scientifique”, quel que soit le sens “généreux” (POQ) que les
pragmatistes donnent à ce mot, et soumise à des critiques et à des contrôles
stricts. Plus généralement, se pose donc le problème des relations entre le pragmatisme et la science, et
en termes putnamiens celui des relations entre le réalisme “naturel” et le
réalisme scientifique: les réponses apportées par l’un suffiront-elles à lever
les difficultés soulevées par l’autre?
Avec raison, Putnam pense que l’un des maux dont la
philosophie a le plus de mal à se défaire est celui qui consiste à jeter le
bébé avec l’eau du bain et à sauter d’une mode à l’autre (de préférence celle
qui lui est le plus opposée); s’il voit un mérite dans le pragmatisme, c’est
celui de nous éviter la mode consistant à passer des excès du réalisme
métaphysique à ceux de l’anti-réalisme, ou de l’irréalisme, de l’absolutimes
ontologique, épistémologique ou éthique au relativisme radical ou nihiliste. Mais on peut se demander s’il ne sacrifie pas
lui-même à la mode, en jetant avec l’eau du bain (le réalisme métaphysique) le
bébé (toute interrogation métaphysique quelle qu’elle soit). Putnam cite
souvent ce passage de Culture and Value où Wittgenstein montre
que renoncer à une exigence métaphysique qui se méprend sur la nature de notre
besoin réel ne nous oblige pas à renoncer à quoi que ce soit de plus; en un
mot, abandonner une mythologie ne veut pas dire, abandonner ce dont
elle était une mythologie. [33]
Putnam l’interprète comme signifiant que “nous pouvons, de l’intérieur de notre
pensée et de nos vies, refuser de la traiter comme une superstition sans penser
que nous ayons à fournir la garantie de l’extérieur que recherche le réalisme
métaphysique” (RP, 262). Et c’est du
reste ainsi qu’il présente la fausse alternative selon lui du débat entre
“réalistes” et “anti-réalistes” sur la nécessité mathématique, qui consiste à
nous faire croire que nous sommes confrontés à un choix forcé entre soit (1)
qu’il y a quelque chose à côté de nos
pratiques de calcul et de déduction qui sous tend ces pratiques et garantit
leurs résultats; ou (2) qu’il n’y a rien que ce que nous disons et faisons,
et la nécessité que nous percevons dans ces pratiques est une pure et simple
illusion. Ce que nous montre Wittgenstein, ici comme ailleurs, c’est que c’est
une erreur de choisir soit le “quelque chose à coté” soit la branche “rien que”
du dilemme” (DL, 509). Et pour sa part,
Putnam refuse lui aussi de choisir.
Mais le pouvons-nous
vraiment? Et est-ce même là une attitude pragmatiste? Comme Wittgenstein,
Peirce était soucieux d’éviter les pièges métaphysiques et comme lui, d’éviter
tout réductionnisme[34],
mais il considérait quant à lui qu’il était impossible d’éluder cette question
qui se pose à tout réalisme contextuel, comme le rappelait V.Descombes[35]
à propos de Rorty: dès lors que nous considérons que “toute chose est prise
sous une certaine description, comment faire la différence entre la chose prise
selon une première description et la même chose prise selon une autre
description sans rapports avec la première?” On retrouve ici “la différence que
faisaient les scolastiques entre distinctio formalis a parte rei et distinctio rationis cum fundamento in re.
(à savoir la différence entre la chose prise selon une première description et
la même chose prise selon une autre description sans rapports avec la première:
cette différence est elle seulement logique, puisqu’elle n’est pas, après tout,
la différence entre une chose et une autre chose? Ou bien s’agit-il d’une
différence réelle, puisque c’est une différence autorisant des prédications
opposées?”. Comme le remarque Descombes, “le réalisme dont il s’agit
maintenant, n’a rien à voir avec celui dont il est question en Epistémologie.
Il ne s’agit plus d’opposer un réalisme à un idéalisme, une théorie de la
vérité comme adéquation à une théorie de la vérité comme cohérence. Le
pragmatisme, même s’il déclare nulle et non avenue la question épistémologique
de savoir si notre esprit reflète un ordre des choses telles qu’elles sont en
soi, n’en doit pas moins se prononcer sur une question plus ancienne, celle
dans laquelle la détermination philosophique doit se faire dans un sens
réaliste ou dans un sens nominaliste” (op.cit.p. 76).
Peirce en était pour
sa part convaincu: si l’alternative
mental non mental est une fausse alternative dans l’opposition des réalistes et
des anti-réalistes, ce n’est pas dire1) qu’il n’y ait pas d’autres solutions
réalistes possibles en dehors du platonisme— et pour sa part il choisit le
réalisme scotiste[36], ni 2) qu’il n’y ait pas une alternative
réelle; et c’est celle qui est commandée par la question de savoir si notre
pensée porte ou non sur des objets réels; étant donné que “le réel est ce qui
signifie quelque chose de réel” comment déterminer le fundamentum
universalitatis, la nature de l’objet de ce qui est pensé” (6.377)
Est-ce à dire qu’il faille aller si loin dans l’affirmation
d’un lien entre pragmatisme et réalisme que l’on doive soutenir que “jamais le
pragmaticisme n’aurait pu entrer dans la tête de quelqu’un qui n’eût pas été
convaincu de l’existence d’universaux réels?”(5.503)? Peut-être pas. Mais l’on
ne peut s’empêcher de penser avec Peirce que :
“Tant qu’il y aura une querelle entre le nominalisme et le
réalisme, tant que la position que nous soutenons sur cette question ne sera
pas déterminée par une démonstration
incontestable, mais sera plus ou moins affaire d’inclination, tout homme
qui en vient à ressentir la profonde hostilité qui règne entre les deux
tendances, s’il est un homme, s’engagera pour l’un ou pour l’autre, et ne
pourra pas plus obéïr aux deux qu’il ne peut servir à la fois Dieu et le Veau
d’or. Si ces deux élans se neutralisent en lui, c’est qu’il ne lui restera plus
dès lors de grande motivation intellectuelle”(8.38).
Certes, on peut comprendre que cette controverse reçoive peu
d’écho, car il ne faut pas “s’attendre à ce qu’une question difficile reçoive
une réponse avant de se présenter sous une forme pratique. Si quelqu’un avait
la chance de découvrir la solution, personne d’autre ne prendrait la peine de
la comprendre”. Mais, ajoute Peirce, si un pragmatiste réaliste a le devoir
d’au moins l’examiner, c’est parce que “bien que la question du réalisme et du
nominalisme ait ses racines dans les technicités de la logique, ses branches
s’étendent à toute notre vie”(8.38):
En ce sens retenir l’héritage pragmatiste, pratique et
réaliste, c’est aussi se rappeler — si l’on veut introduire en philosophie toutes les formes de vie—que du côté de
la logique, de la science, mais aussi de la métaphysique, surtout une fois
celle-ci “purifiée”, il reste encore beaucoup à faire.
[1] C’est un aspect sur lequel H. Putnam a
beaucoup insisté; voir notamment Realism
with a Human Face, (RHF), Harvard UP, Cambridge, 1990, tr.fr.C.Tiercelin, Le réalisme
à visage humain, Paris, Seuil, 1992, Renewing Philosophy (RPh),
Harvard UP, Cambridge, 1992, Words and
Life, (WL), Harvard UP, Cambridge,
1994; j’ai examiné le sens de cette lecture de l’héritage pragmatiste
dans “Un pragmatisme conséquent?” Critique,
août-sept.1994, 642-660.
[2]. The
Cambridge Companion to William James (CCWJ), R. A. Putnam ed., Cambridge
UP, Cambridge, 1997, p. 166. L’interprétation enthousiaste, que fait de James
D. Lapoujade (“William James: le pragmatisme et la libération du mouvement” Revue Philosophique, n°3, 1997, p.
305-313) est l’illustration de ce qu’observe Putnam à propos de
l’irrationalisme. Ainsi, on supposerait, à tort, que “l’originalité du
pragmatisme de James consiste à donner une nouvelle définition de la vérité”,
et que “par conséquent, son objectif est principalement épistémologique(sic)”(p. 306); alors qu’en réalité, il
s’agirait uniquement pour James de “penser le mouvement”(p. 308), la création;
bref, “la notion de vérité n’intéresse
pas James” (p. 313), et “le pragmatisme tel qu’il l’entend consiste à liquider
la notion de vérité en tant que valeur”.
Les métaphysiciens et moralistes qui s’échinent depuis des siècles sur le
problème de la vérité seront ravis d’apprendre qu’ils travaillaient en toute
impunité sur la chasse gardée des épistémologues; quant aux (nombreux)
commentateurs qui, refusant de suivre une méthode (bien éprouvée, comme le note
Putnam, par Russell), consistant à passer certains textes (pourtant rebattus)
de James sous silence, et qui se contentent de lire ce que dit James en divers
endroits, ils seront soulagés d’apprendre qu’il n’y avait pas lieu d’essayer de
faire tenir ensemble des propos qui, s’ils ne sont pas franchement contradictoires,
soulèvent bel et bien des difficultés philosophiques majeures, sinon “fatales”
(Putnam), et qu’il n’y avait, en définitive, aucun problème. Mais au diable les
“pédants momifiés” (Peirce) et vive la création!
[3]. Voir notamment, outre l’étude sur James
déjà citée, les trois “Dewey
Lectures”(DL), The Journal of Philosophy,
vol. XCI, n°9, sept. 1994, 445-517, Pragmatism,
an open question,(POQ) Blackwell, Oxford, 1995, ainsi que les réponses à S.
Blackburn et M. Dummett, in Reading
Putnam (RP), (P. Clark & B. Hale eds.), Blackwell, Oxford, 1994.
[4] par ex. Mind, Language and Reality, Philosophical Papers (vol.2), Cambridge
UP, Cambridge, 1975, (p.236 pour Dewey), et Peirce (p. ix, 272-3, 290), Meaning and the Moral Sciences,
Routledge & Kegan Paul, Londres 1978,
(p1), Reason, Truth and History,
(RTH), Cambridge UP, Cambridge, 1981, tr.fr. A. Gerschenfeld Raison, vérité et histoire, Minuit,
Paris, 1984, p.62sq.
[5] Cf.aussi Representation and Reality, (RR), MIT Press, Harvard, 1988, tr.fr.
C.Tiercelin, Représentation et réalité,
Gallimard, Paris, 1990, p. 186sq. sur l’insuffisance de la métaphore du “moule
à gâteau” qui nie (plutôt qu’elle n’explique) le phénomène de
relativité conceptuelle.
[6].L’illusion fondamentale consistant à
donner une définition de l’universel en dehors de la pensée et du langage et à
croire que l’on peut concevoir l’existence des choses “indépendamment de toute
relation à la conception qu’en a l’esprit” (8.13) (Collected Papers, Harvard UP, Cambridge, 1931-58 (8 vols.), indiqués
par n° de volume puis de paragraphe). cf (8.10; 5.470; 5.503; 1.21; 2.115. Pour
plus de détails, je me permets de renvoyer à
C. Tiercelin, C.S. Peirce et le
pragmatisme, PUF, 1993, p. 11 sq. “le pragmatisme comme thérapeutique” et à
La pensée-signe: études sur Peirce, Nîmes, J. Chambon ed.,
1993, p. 56sq.
[7] R. Almeder, ‘Peirce’s thirteen theories
of truth’, Transactions of the CS. Peirce
Soc., XXI, 1985, 7-34.
[8]. Selon R. Kirkham, on peut trouver sous
sa plume des affirmations qui vont dans le sens du subjectivisme extrême (MT,
129), de l’objectivisme (MT, 105), d’un relativisme, qui n’implique pourtant
pas un refus de l’absolutivisme (MT, 142-143), d’une théorie correspondantiste
(P, 96), d’une théorie cohérentiste (P.34-37; MT, 104-105), et d’une théorie
consensuelle à la Peirce (MT, 142-143). Theories
of Truth, M.I.T, Harvard, 1992, p.88. MT suivi du numéro de page, renvoie à
The Meaning of Truth (1909) et
P àPragmatism (1907), A. J. Ayer ed. 1975, The Works of Willizam James (dir. F. Burkhardt, F. Bowers et I. Skrupelis), Harvard UP, Cambridge,
Mass.1975-1987. Les paginations données en français renvoient à L’idée de vérité, L. Veil et M. David,
Paris, Alcan, 1913, et Le Pragmatisme,
E. Le Brun, Paris, Flammarion, 1914.
[9]aussi est-il prêt à dire (ce que refuse
Peirce) que dans le cas où l’on n’a pas de preuves qui nous permettent de
décider entre deux conceptions rivales, le choix peut se faire en termes
esthétiques, (et donc subjectifs) de goût, d’ “élégance”, ou d’ “économie” (P,
fr.154).
[10]Et c’est ce qui
l’amènera à dire dans la Volonté de
Croire (trad. franç. par L. Moulin, Paris, Flammarion, 1916 de The Will to Believe (1897), Works(E. H. Madden ed., 1979.), que les
croyances (cette fois au sens religieux du terme) sont légitimes, bien que non
susceptibles d’être vérifiées ou falsifiées, dès lors qu’elles ont des effets
salutaires sur la conduite du croyant, et à contester la position désormais
classique, soutenue par Clifford selon laquelle: “C’est un tort, pour tous,
partout et toujours, que de croire quoi que ce soit sur la base de preuves
insuffisantes” (trad. fr. 28).
[11] Sur les raisons de l’instabilité de ces
méthodes, voir Peirce et le pragmatisme,
op.cit., p.89 sq.
[12]
Logic, The Theory of Inquiry,
1938, p.345.
[13] “Two English Critics”, publié par l’Albany Review de janvier 1908, et repris dans MT, fr. 237-248.
[14]. B. Russell, Ecrits Philosophiques, intr. et trad. J. P. Cometti, et F. Clementz), PUF, 1997, 173 sq.
[15]Voir aussi les remarques de J.-P. Cometti et F. Clementz, op.cit. 44.
[16]“The pragmatist theory of truth”, British Journal Phil. of Sc. , 27,
1976, 231-249, 237.
[17] cf. aussi S. Haack, art.cit., 234: et A.
J. Ayer, introd à MT et à P, 1975 p. xxii.
[18]La notion d’une limite idéale de
l’enquête, où cohérence et correspondance pourraient converger, ne résout pas
en effet tous les problèmes: en quoi
consiste-t-elle au juste? Y aura-t-il jamais un état dans lequel on pourrait
disposer de toutes les données disponibles? Et en quoi empêcherait-elle la
situation suivante: que la communauté idéale des chercheurs dispose de toutes
les données et converge vers une théorie unique, qui se révèle malgré tout être
fausse? Enfin, l’accord même idéal des chercheurs remplace-t-il la vérité?
Toutefois, il n’est pas sûr que la position de Peirce ait été correctement
interprétée; cf. Peirce et le pragmatisme,op.cit.
108sq.
[19] cf. la conférence VII,
“Pragmatism and Humanism”, in MT., où James soutient que “nous créons les
sujets de nos propositions vraies comme de nos propositions fausses”. Et Putnam
ajoute: “Je regrette d’avoir moi-même parlé de “dépendance par rapport à
l’esprit” en relation avec ces questions dans RTH, 1981. (DL, 448, n7). Voir aussi ses réserves à l’égard de James,
n10, DL, 449 et surtout son analyse dans CCWJ, où après avoir souligné la
richesse de l’analyse jamesienne de la vérité, il n’en conclut pas moins
qu’elle est “sérieusement viciée” (182), en ce qu’elle finit par laisser penser
que “la valeur de vérité de tout énoncé sur le passé dépend de ce qui se produit
dans le futur “, nous conduisant finalement à un“cul de sac” (182-183).
Voir aussi sur ces difficultés de James, S. Haack, “Can James’s Theory of Truth
be Made More Satisfactory?” Transactions
of the C. S. Peirce Soc., 1984,
vol. XX, n°3, .270-278, et sur l’accusation par Russell de “subjectivisme” et
de “psychologisme” adressée à James et au pragmatisme, op.cit.13). Notons que
Peirce reprochait déjà à James “d’accepter une philosophie si imprégnée de vie
qu’elle en devienne infectée de semences mortelles, avec des notions telles que
…la mutabilité du vrai” (6.485).
[20] James accusait aussi Russell de donner
une définition en termes logiques, mathématiques et abstraits de la vérité, là
où l’on a affaire à des “valeurs” (MT, 148-149).
[21]. Brièvement : sous cette rubrique, Putnam
regoupe une famille de théories contemporaines de la vérité dites
“déflationnistes” ou “minimalistes”, héritières de deux courants fondamentaux:
1) Ramsey (“Truth and Probability”, 1926): dire que P est vrai, ce n’est pas
dire autre chose que P; “vrai” est un prédicat “redondant” qui n’ajoute rien à
l’assertion d’une phrase. 2) Tarski (1932) et sa conception “sémantique” qui
suit le schéma décitationnel suivant (ou Convention T): (T) “P” est vrai ssi p.
La “théorie décitationnelle de la vérité”
consiste à dire (bien que Tarski reste pour sa part neutre sur ce qui est dit),
qu’il n’y a rien de plus dans le
concept de vérité que ce que contiennent le schéma ddécitationnel et la
convention T. C’est en ce sens une forme de déflationnisme: P. Horwich (Truth, Blackwell, Oxford, 1991) propose une autre version (“minimaliste”)
qui part du schéma d’équivalence suivant:
Il est vrai que P ssi P; P; La
proposition que P est vraie. Ainsi, la vérité n’exprime aucune propriété
(ni de correspondance, ni de cohérence, ni d’assertabilité garantie). Ce n’est
qu’un “dispositif logique” qui a une valeur purement formelle ou triviale, ce
que conteste Putnam (du moins à ce stade), bien qu’il reconnaisse aussi, comme
on le verra, tous les mérites de ces analyses (et notamment celles de Tarski).
[22]. “On Truth”, et “Does the Disquotational
Theory of Truth Solve all problems?”.
[23] Sur la position de Putnam, voir J.
Bouveresse, Langage, perception et
réalité, Nîmes, ed. J. Chambon, 1995, p. 14sq.
[24]. Voir la manière dont Putnam applique
ceci à l’interprétation des énoncés sur le passé du type “César s’est fait
raser le jour où il a traversé le Rubicon”, in RP, 258sq.
[25] S. Haack, “We, pragmatists...Peirce and
Rorty in conversation”, The Partisan
Review, 1997, vol.LXIV, n°1, P. 91-107.
[26] Sans doute est-ce en partie ce qui
explique son souci (légitime ou non) de
comparer sa position à celle de Davidson. voir par ex. “Is Truth a Goal of
Enquiry: Davidson vs Wright”, The
Philosophical Quarterly, 1995, p. 281-300.
[27]F. P. Ramsey, On Truth, N. Rescher et U.
Majer eds., Episteme 16, Kluwer
Academic Publishers, 1991, p 92.
[28]
Philosophical Papers,
(ed. D.H. Mellor), Cambridge UP, Cambridge, 1990, p.27; ce qui est l’exact
opposé de ce que soutient Lapoujade:”être pragmatique pour James signifie que,
désormais, la vérité est évaluée en fonction du mouvement de création qu’elle
libère, et non le mouvement jugé en fonction de la vérité qu’il
produit”(art.cit.p.313).
[29]. art.cit.p.247-8.
[30]. A cet égard, il est tout aussi
caricatural, comme on le fait encore souvent, de sous-estimer chez Peirce, le
rôle que jouent l’instinct, mais aussi les sentiments et les affects dans la
connaissance (cf. La pensée-signe,
p.377 sq.), que d’opposer “pragmatique” et “cognitif” chez James: “[Le
pragmatisme] paraît à la plupart des gens exclure
les intérêts intellectuels, mais tout ce qu’il signifie, c’est de dire que
ce sont des intérêts subjectifs comme tous les autres…Le test pragmatique de la
signification d’un concept réside quelque part dans une expérience possible, mais
l’expérience peut être une observation pure sans aucune espèce d’usage
“pratique”. Elle peut cependant avoir
un usage extraordinairement théorique, celui de nous dire quel concept est
vrai…” in R. B. Perry, The Thought and
Character of William James, Atlantic, Little, Brown, 1935, vol.2, p.475).
[31] cf. sur le faillibilisme Peirce et le pragmatisme,
op;cit. 111-114, et sur le Sens commun critique (inspiré et de Th. Reid et de
Kant), la pensée-signe,op.cit.342-362.
[32]“Faire revivre et redonner du sang neuf à
l’esprit réaliste constitue, dans l’immédiat, la tâche par excellence du
philosophe” (RHF, 163).
[33] Blackwell, Oxford, 1990, p. 83.
[34]La
parenté entre les deux auteurs avait été remarquablement mise en lumière
par Rorty dans son fameux article, “Pragmatism, categories and language”, Philosophical Review, 70, 1961, 197-223 . J. Bouveresse a développé ces thèmes
dans Le mythe de l’intériorité,Minuit, 1976, P. 577 sq.
[35]“Something différent” (Remarques sur le
pragmatisme de Richard Rorty), in Lire Rorty,
ed. L’éclat, 1992, 57-76, p. 76.
[36]Je me permets de renvoyer sur ce point à
“Le vague est-il réel? Sur le réalisme de Peirce”, Philosophie n)10, 1986. Je
continue à trouver proprement stupéfiant qu’aucun philosophe contemporain (en
dehors du cercle des “Peirce-scholars”) intéressé au débat réalisme-anti
réalisme, et apparemment pas davantage Putnam (qui a pourtant démontré son
érudition sur d’autres aspects de la pensée de Peirce) ne se sente tenu (ou
même simplement curieux) semble-t-il, de regarder de plus près la position
extrêmement subtile de Peirce (et au passage des médiévaux) sur cette question.
Ici encore, Putnam ne tomberait-il pas lui-même dans ce travers qu’il dénonce?
“Rejeter une controverse, sans examiner les thèses en présence revient pratiquement
à défendre l’une d’entre
elles (habituellement celle que l’on qualifie d’”anti-métaphysique”) (RHF,
133).