Comment donner un visage humain à la vérité sans la défigurer?

Sur le pragmatisme de H. Putnam

Claudine Tiercelin. Université de Paris XII.

(Publié in Revue Internationale de Philosophie, n°207, 1999/1, p. 37-60

 

On associe souvent le succès que connait, après une longue éclipse, le pragmatisme, au regain d’intérêt que suscite aujourd’hui l’éthique, et à la nécessité de tenir compte, en philosophie, de la raison pratique autant que théorique [1]. Avec Rorty, Putnam est l’un de ceux qui contribuent le plus à faire revivre la force des réflexions en ce domaine des pragmatistes classiques (James et Dewey en particulier), à en retrouver la trace chez des auteurs comme Wittgenstein (ou lui-même), et surtout à en tirer les enseignements pour le “débat philosophique contemporain”.

Plus rare avait été, jusqu’à une date relativement récente, la remise à l’honneur de certaines analyses pragmatistes, notamment en matière de perception ou de vérité. Peut-être parce qu’il paraissait peu opportun de reprendre un dossier définitivement clos, soit par les attaques sévères (de Moore, Russell, et bien d’autres) contre la conception pragmatiste de la vérité, soit à l’inverse, par les pragmatistes eux-mêmes, qui auraient démontré l’inutilité de réflexions épaisses, en un mot, métaphysiques, sur des concepts de ce genre. Comme le note Putnam, au début de l’étude qu’il consacre à la théorie de la vérité de William James:

 

“Les déclarations sur la nature de la vérité dans Le pragmatisme suscitèrent des hurlements d’indignation (par ex. Russell 1945) tout autant que des éloges exagérés. Les hurlements (et certains des éloges) venaient de lecteurs qui pensaient que James identifiait la vérité à tout ce qui nous donne de la “satisfaction à croire”: les critiques croyaient que ceci revenait à de l’irrationalisme, alors que les enthousiastes pensaient que l’idée selon laquelle la vérité colle avec la réalité mérite  d’être abandonnée (Rorty,1982), et le pragmatiste italien Giovanni Papini pensait que l’irrationalisme est une bonne chose” [2]

 

Aussi les réflexions auxquelles se livre Putnam, notamment dans ses derniers écrits, sur la vérité et le réalisme[3], sont-elles particulièrement précieuses: car le tour de plus en plus ouvertement ”pragmatique” que prend  ce “voyage du familier au familier ” ou cet “aller-retour du réalisme au réalisme”, comme Putnam dépeint lui-même son itinéraire, non seulement nous éclaire sur ce que pourrait être, en philosophie, cette “voie médiane entre la métaphysique réactionnaire et le relativisme irresponsable” (DL,447) à laquelle aspire depuis toujours Putnam, mais nous permet aussi de réévaluer l’apport philosophique du pragmatisme.

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Réalisme interne et pragmatisme: premières approches

Le pragmatisme de Putnam n’est pas nouveau: c’est même—quelle que soit l’évolution qu’il a connue, comme la plupart des concepts putnamiens et notamment le réalisme—l’un des éléments les plus anciens et les plus constants de sa philosophie: non seulement par la présence, dès le début, des noms de Peirce ou de Dewey, aux côtés de ceux de Tarski ou de Carnap, dans les analyses sur la vérité[4], mais aussi et surtout, et bien que sous une formulation propre à Putnam, par la nature des thèmes récurrents dans ses écrits.

Plus que celui d’offrir une définition formelle de la nature des concepts philosophiques, Putnam préfère revendiquer le droit de proposer une “image” (picture) des choses, et rappelle que les philosophes— les pragmatistes en sont un bon exemple(CCWJ, 183)— sont souvent meilleurs par ce qu’ils nient que par ce qu’ils proposent. L’un des adversaires le plus constants de Putnam est le réalisme métaphysique ou “externalisme”, auquel sont associés trois thèmes fondamentaux: (1) “Le monde est constitué d’un ensemble fixe d’objets indépendants de l’esprit.(2) Il n’existe qu’une seule description vraie de “comment est fait le monde”. (3) La vérité est une sorte de relation de correspondance entre des mots ou des symboles de pensée et des choses ou des ensembles de choses extérieures”(RTH, 61).

A cette perspective, ou “point de vue de Dieu”, Putnam oppose très tôt celle qu’il appelle dans RTH “internaliste”: la question “de quels objets le monde est fait” n’a de sens que dans une théorie ou description “vraie” du monde; il n’y a aucun “point de vue de Dieu”; il n’y a que “différents points de vue de différentes personnes, qui reflètent les intérêts et les objectifs de leurs descriptionss et leurs théories”.  Sur cette thèse du réalisme interne,  Putnam ne variera pas; au contraire, il ne cessera de la souligner: “Cela n’a aucun sens de penser que le monde se divise en “objets” (ou “entités”) indépendamment de notre usage du langage. C’est  nous qui divisons “le monde”—à savoir, les événements, états de choses, et systèmes physiques, sociaux, etc., dont nous parlons— en des “objets”, “propriétés”, et “relations”, et ce de toutes sortes de manières” (RP, 243). Ainsi, “nous pouvons en partie décrire le contenu d’une pièce en disant qu’il y a une chaise en face d’un bureau, et en partie décrire le contenu de la même pièce en disant qu’il y a des particules et des champs de certaines sortes qui sont présents. Mais demander quelle est de ces descriptions celle qui décrit la pièce telle qu’elle est “indépendamment de la perspective”, ou “en soi”, n’a aucun sens. Elles sont toutes deux des descriptions de la pièce telle qu’elle est réellement” (RP, 247)[5] .

A ce refus d’une dichotomie entre monde et langage (ou  entre fait et théorie, valeur, ou convention)— thèse de la “relativité conceptuelle”— Putnam associe une deuxième idée force du réalisme interne, qui a trait à “l’image” de la “vérité” —plutôt qu’à une “théorie de sa nature”—qu’il induit: “L’internaliste voit en la vérité une sorte d’acceptabilité rationnelle (idéalisée)—une sorte de cohérence idéale de nos croyances entre elles et avec nos expériences telles qu’elles sont représentées dans notre système de croyances —et non une correspondance avec des “états de choses” indépendants de l’esprit ou du discours” (RTH, 61).  Plus précisément: “Un énoncé n’ est vrai qu’au cas où un locuteur compétent pleinement familiarisé avec l’usage des mots serait pleinement garanti à utiliser ces mots pour faire l’assertion en question, pourvu qu’il ou elle soit dans une position épistémique suffisamment bonne” (RP, 242).

Dès lors on ne s’étonnera pas que Putnam associe d’emblée, au point de vue internaliste, le “non-réalisme”, la “théorie de la vérité-cohérence”, et… le “Pragmatisme”, même si, ajoute-t-il alors, ces noms “ont tous des connotations inacceptables du fait de leurs autres applications historiques” (RTH, 62); en tout cas, revenant dans RR sur sa perspective énoncée dans RTH, il indique qu’il “aurait mieux fait de l’appeler simplement réalisme  pragmatique ”(RR, 187).

Chacun aura en effet reconnu des thèmes caractéristiques du pragmatisme classique: le refus du réalisme métaphysique est, dès le début le leitmotiv de Peirce, dont l’opposition au “réalisme platonicien”, est au point de départ de sa position sur le problème des universaux [6]. Mais aussi toute une série de réflexions sur le sens à donner à la vérité.

 

 Les pragmatistes classiques et la vérité.

Sans doute est-il risqué de confondre sous une même appellation des pragmatistes aussi différents que Peirce, James, Dewey, Schiller, Papini, Vailati, etc. , puisqu’il est déjà risqué d’identifier une théorie de la vérité de Peirce (il en aurait soutenu au moins treize) [7] ou une théorie de la vérité de James[8]. Toutefois, certaines caractéristiques se dégagent de la démarche des pragmatistes classiques.

 Commune sera à Peirce, James (mais aussi à Dewey) l’idée que la vérité doit être soumise à un examen de sa signification, faire l’objet d’une définition, non pas nominale ou abstraite, mais réelle (P, fr.52): la vérité n’est pas une propriété, “statique, inerte”de nos idées, (P,142-3), ou une “copie” de la réalité correspondante —à quoi cela pourrait bien mener une telle duplication?— c’est un instrument de recherche, qui nous permet à l’occasion, de “refaire le monde” (P, fr.53).

Expliquer la vérité, c’est la rapporter à des croyances. Comme Peirce, James rappelle que la méthode pragmatique interprète chaque conception d’après ses conséquences pratiques: la seule fonction de la pensée étant d’établir une croyance, c’est-à-dire une habitude d’action, “les différentes croyances se distinguent par les différents modes d’action qu’elles produisent” (5.398). Il ne saurait donc y avoir “de nuance de signification assez fine qui ne puisse produire une différence dans la pratique”(5.400). Les seules différences non illusoires sont donc celles quifont  la différence; la vérité se concevant “en action”. Comme le suggère Putnam, “ce que James et Peirce veulent nier, c’est que la vérité aille plus vite que ce que les humains ou d’autres êtres sensibles pourraient vérifier ou découvrir”(RHF,XX). Si “pratique” a un sens plus individualiste, vital et émotionnel pour James[9], là où Peirce, refusant cette lecture “nominaliste”, lui donne le sens de but (8.322) ou de visée rationnelle (au sens kantien) (5.412), James n’est pas allé aussi loin qu’on le dit en ce sens: certes, les croyances ont avant tout une importance vitale, et n’auraient jamais acquis le nom de croyances vraies si elles n’avaient pas d’abord été utiles. Les croyances bonnes ou “avantageuses” sont donc bien en un sens celles qui ne risquent pas d’être contredites par l’expérience, nous prémunissant ainsi contre des échecs ultérieures, mais ce sont aussi celles qui nous permettent de maximiser nos vieilles croyances tout en préservant la consistance (la cohérence est donc aussi un élément décisif): “Par-dessus tout, nous trouvons la consistance  satisfaisante” (MT, 105). C’est du reste la raison pour laquelle, ayant fait observer qu’une croyance dans l’Absolu lui offrirait une sorte de “vacances morales” et serait bonne, au sens de “agréable à croire”, James ne l’en rejette pas moins, parce qu’elle est non-consistante avec d’autres croyances[10], et il estime, comme Peirce —qui se dit finalement proche de lui (5..494)— que c’est réduire le sens de pratique, que de l’opposer à “théorique”, là où il entendait pour l’essentiel l’opposer à “vague ou abstrait”(MT, 112-113; fr.,182).

Comme y insiste Putnam, la vérité est indissociable de la vérification, justification, ou confimation de la croyance:

“…  Les idées vraies sont celles que nous pouvons nous assimiler, que nous pouvons valider, que nous pouvons corroborer de notre adhésion et que nous pouvons vérifier. Sont fausses les idées pour lesquelles nous ne pouvons pas faire cela. Voilà quelle différence  pratique il y a pour nous dans le fait de posséder des idées vraies; et voilà donc ce qu’il faut entendre par la vérité, car c’est là tout  ce que nous connaissons sous ce nom!

…La vérité d’une idée n’est pas une propriété qui se trouverait lui être inhérente et qui resterait inactive. La vérité est un événement  qui se produit pour une idée. Celle-ci  devient vraie; elle est rendue vraie par les événements. Sa vérité  est en fait un événement, un processus: à savoir le processus qui consiste à se vérifier elle-même, sa véri- fication . Sa validité est le processus de sa valid-ation” (P, 97, trad.fr. modif., p. 144).

Comme James, Peirce insiste aussi  —l’influence de Darwin n’y est sans doute pas pour rien— sur le caractère dynamique (James dit “génétique”) de la vérité. Mais (comme après lui Dewey), il se soucie plus que James des modalités et de la méthode régissant ce processus, défini comme enquête.  En définitive, la seule définition ousignification réelle de la vérité est celle qui permet de déterminer, dans le cadre d’une enquête (inquiry) celles  qui, parmi nos croyances, résistent au doute et sont stables (5. 416; 5.375).

En définissant le vrai comme ce vers quoi tend l’enquête, Peirce fixe aussi celle— autre que les méthodes (d’autorité, de ténacité et a priori) qui en sont incapables [11]— qui est seule à même de stabiliser la croyance:  la méthode scientifique, qui tire sa force (non d’une supériorité magique de la science) mais de la contrainte qu’exerce sur elle la réalité, seule capable d’opérer, par l’indépendance qui est la sienne par rapport aux esprits, le consensus de la communauté des individus. Pour Peirce, la vérité est  donc indissociable d’une certaine forme de réalisme et de consensus. Dewey suivra Peirce dans cette idée que la vérité est la fin de l’enquête, et dira que c’est la “la meilleure définition qui ait été donné de la vérité” [12], la méthode de l’enquête nous donnant le droit d’affirmer (warranted assertibility), permettant à nos croyances de recevoir le statut de connaissances (knowledge).

Comme l’a bien vu Putnam, si James s’intéresse moins que Peirce  et que Dewey à l’enquête elle-même, il insiste autant qu’eux sur le pouvoir contraignant de la réalité, avec lequel nos croyances doivent non en toute rigueur correspondre (vision des choses moins fausse pour tous deux qu’inutile), mais être en accord (agree).

L’imagerie philosophique (Moore, et Russell) autant que populaire a associé le pragmatisme, et notamment celui de James, à l’équation: “le vrai c’est l’utile”, et l’a ridiculisé en le présentant comme une idéologie —typiquement américaine— de marchands et d’ingénieurs: le vrai, c’est ce qui paye, c’est ce qui a des effets. Comme le note Putnam, cette interprétation s’est faite au mépris des textes et de leur contexte. (CCWJ.166). Sous cette forme grossière ou vulgaire, la thèse est en effet ouverte à des objections évidentes: il y a de nombreuses choses qu’il est utile de croire,mais qui sont fausses, et vice-versa. Il y a aussi bien des cas où l’ignorance, la crédulité, voire la stupidité se révèlent plus payantes que la connaissance et que l’intelligence. Et il y a une infinités de vérités qu’il est préférable, voire franchement inutile de croire; Au reste, quel est le critère de l’utilité?  Outre le fait qu’il est très difficile de déterminer quand les conséquences d’une croyance sont bonnes, le critère de l’utilité dépend le plus souvent de nos opinions. Il peut donc varier d’un individu à l’autre, d’une communauté à  l’autre, en sorte que le pragmatisme a vite fait de se ramener à du relativisme. .

Mais, comme le note Putnam (CCWJ, 180), c’est manquer l’essentiel. L’enquête ne s’achevant que par l’acquisition d’une croyance stable, le vrai, est bien (pour Peirce comme pour James), ce qu’il est satisfaisant de croire. Et comme être satisfait par une croyance c’est avant tout ne pas être gêné par un doute, la vérité est donc un peu redondante par rapport à la croyance. Mais ce n’est pas dire que la vérité soit un faux-problème, ni que vérité et satisfaction soient deux termes synonymes, ou que l’on doive interpréter satisfaisant comme “émotionnellement” confortable. Dans un texte de 1908[13], James récuse l’interprétation de Russell selon laquelle il assimilerait les conséquences utiles ou avantageuses d’une croyance à un simple critère de vérité[14]. Ces conséquences, écrit James “sont proposées, comme la  causa existendi  de nos croyances, non pas comme leur prémisse ou leur base logique, moins encore comme la chose qu’elles énoncent ou leur contenu objectif. Elles assignent la seule signification pratique intelligible à la différence que comporte, entre nos croyances, notre habitude de les appeler vraies ou fausses” (fr.238)[15]. 

Les pragmatistes auraient aussi, selon Russell  confondu critère et définition.. Mais le reproche est mal venu, puisqu’une telle dichotomie est justement celle que leur conception de la signification juge inacceptable. Comme le note S. Haack, si c’est là une confusion, il faut le montrer en critiquant leur théorie de la signification elle-même[16].

Si on laisse donc de côté, les critiques, en partie injustifiées, qui s’adressent à la définition de la vérité en termes d’utilité ou de satisfaction, reste la difficulté majeure qui se pose à la conception pragmatiste et qui a trait à la notion de vérification. Mais ici encore, la prudence s’impose: comme le voit bien Putnam[17], et même si James s’intéresse plus aux vérités particulières que l’on vérifie à court terme qu’à la totalité constituée par les vérités individuelles obtenues à long terme, 1) il ne limite pas les idées vraies à celles qui sont effectivement vérifiées mais aux idées dont il est  possible de dire qu’elles le seront, donc aux idées  vérifiables,  et  à long terme, (l’influence de Peirce, comme le dit Putnam est ici évidente); 2) il  reconnait que la plupart des croyances que nous jugeons vraies ne sont au mieux vérifiées que de manière  indirecte: (“ un processus indirect ou simplement virtuel de vérification peut donc être aussi vrai qu’un processus direct et complet” P, fr. 148); ce pourquoi “la vérité vit à crédit, la plupart du temps. Nos pensées et nos croyances “passent” comme monnaie ayant cours, tant que rien ne les fait refuser, exactement comme les billets de banque, tant que personne ne les refuse” (ibid.); 3) certaines propositions peuvent être dites vraies ou fausses, même si personne ne les a jamais vérifiées ou falsifiées, ou même simplement envisagées (simplement, cette manière de s’exprimer n’a qu’un intérêt relatif). 

Le pragmatiste ne soutient donc pas (du moins pas nécessairement) une théorie de la vérité selon laquelle la vérité c’est la vérification (ou vérificationnisme). En revanche, il peut déclarer, non seulement que le vrai est le vérifiable, ou, ce que fait surtout Peirce, soutenir une théorie vérificationniste de la  signification : la signification d’une proposition est sa conformité avec l’expérience possible, ou sa vérification y compris idéale. (et c’est du reste ce qui confère à la signification, Peirce ne cesse d’y insister, une indétermination irréductible).

Attentif aux contresens effectués par ses détracteurs sur la définition pragmatiste (et notamment jamesienne) de la vérité, Putnam s’attache à montrer que la grandeur des pragmatistes consiste dans l’interdépendance qu’ils ont su voir entre le vrai et l’utile, la pratique, ce qu’il est satisfaisant de croire, ce qu’il faut vérifier, confirmer, ou ce dont il faut donner des conditions d’assertabilité, et non dans la  réduction de celui-ci à ceux-la. Quels que soient les défauts finalement “désastreux ” de sa position, James n’a pas confondu vérité et vérification ou confirmation et il a su mieux que quiconque montrer le lien entre la vérité et l’évaluation sans en tirer de conclusions relativistes.

 

L’humanisation de la vérité

 D’emblée, Putnam voit donc le parti qu’il peut tirer du pragmatisme dans son projet (pleinement en accord avec l’ “anti-réalisme” de Dummett) d’une “sémantique vérificationniste”, mais qui est de “combiner le réalisme avec une concession à un vérificationnisme modéré”— il ne peut y avoir de vérité qui soit totalement  transcendante à nos capacités de la reconnaître (recognition-transcendent)— et qui doit permettre de comprendre le lien entre la notion de vérité, la manière dont on utilise des mots (y compris l’acte de langage de l’assertion), et les notions d’acceptabilité rationnelle et de conditions épistémiques suffisamment bonnes” (RP, 242).

Une première évolution dans le pragmatisme se fait dans le sens d’une  humanisation  de cette notion. Sensible aux objections adressées à la conception peircienne de conditions idéales[18], Putnam la remplace par celle de “conditions épistémiques suffisamment bonnes, pour parvenir à une nouvelle définition dans RHF —qu’il entend de nouveau rattacher à l’héritage pragmatiste, et aussi démarquer du relativisme de Rorty:

 

“1) Dans des circonstances ordinaires, il y a habituellement un fait décisif qui permet de dire si les énoncés que font les gens sont garantis ou non. 2) Qu’un énoncé soit garanti ou non ne dépend pas de la question de savoir si la majorité ou si l’un de nos pairs culturels serait prêt à  dire qu’il est garanti ou non garanti.3) Nos normes et modèles d’assertabilité sont des produits historiques; ils évoluent avec le temps.4)Nos normes et modèles reflètent toujours nos intérêts et nos valeurs. Notre conception de l’épanouissement intellectuel fait partie (et n’a de sens qu’en faisant partie) de notre conception de l’épanouissement humain en général.5) Nos normes et modèles de  quoi que ce soit —y compris d’assertabilité garnatie— sont susceptibles d’être réformés. Il y a des normes et des modèles plus ou moins bons”(RHF, 134-135).

 

Cette évolution va de pair avec l’accent mis sur la dimension pratique (et carrément éthique) du pragmatisme et l’intérêt accru de Putnam pour les conceptions morales, développées notamment par James et par Dewey.

Mais elle s’accompagne aussi de précisions sur l’interprétation correcte des termes d’ “usage”,  et de règle, qu’il faut comprendre (au sens de Wittgenstein) d’une forme de vie: contrairement à sa vision passée (“fonctionnaliste”) des choses, cette conception de l’usage —présente dans le programme dummetien pour une théorie de la signification comme dans les références que fait Rorty à l’idée d’un discours normal régi par des “critères” et des “algorithmes”— lui parait désormais erronée (cf. RR, chap.4):

 

“Apprendre à utiliser des mots ressemble plus à apprendre à jouer d’un instrument de musique qu’à extraire des racines carrées. La sensibilité entre en jeu, ainsi que la rationalité informelle, et il y a place pour la créativité individuelle” (RP, 243).

 

Le retour en force du réalisme

 A ce stade en effet, c’est moins le réalisme métaphysique, que le relativisme irrationaliste qui paraît menaçant. Aussi Putnam s’mploie-t-il à atténuer la dimension épistémique de la vérité, et à redire ce qu’il y de juste dans l’intuition réaliste:

 

“Dans  Raison,  vérité et histoire, précise-t-il dans RR, j’ai expliqué mon idée ainsi: “la vérité est l’acceptabilité rationelle idéalisée”. Cette formulation a été prise par beaucoup comme signifiant que l’“acceptabilité rationnelle” (et la notion de “situation épistémique meilleure ou pire”, que j’ai également utilisée) était supposée (par moi) être  plus fondamentale que la “vérité”; que je proposais une  réduction de la vérité à des notions épistémiques. Rien n’était plus éloigné de mes intentions. La suggestion est simplement que la vérité et l’acceptabilité rationnelle sont des notions  interdépendantes. Malheureusement, dans  Raison, vérité et histoire, je n’ai donné des exemples que d’un côté de l’interdépendance: des exemples sur la manière dont la vérité dépend de l’acceptabilité rationnelle. Mais il est clair à mes yeux que l’interdépendance joue des deux côtés: qu’une situation épistémique ait ou non la moindre valeur dépend habituellement de ce que de nombreux énoncés différents sont ou non  vrais” (RR, 189-190).

 

En un mot si la suggestion qui constitue l’essence du “réalisme interne”, “c’est que la vérité ne transcende pas l’usage”, il importe de ne pas donner une lecture réductrice de celui-ci (ibid.), car  “c’est une propriété de la vérité que le fait qu’une phrase soit vraie est logiquement indépendant de la question de savoir si la majorité des membres de la culture croient  qu’elle l’est” (RR,180).

Sans doute est-ce la raison pour laquelle, dans les Dewey Lectures, après avoir une nouvelle fois salué l’effort de James pour montrer le lien entre le monde et les intérêts de ceux qui le décrivent, Putnam admet qu’il ne peut se ranger complètement de son côté, (mais pas non plus du côté de son critique réaliste traditionnnel), car s’il est vrai que “le monde est ce qu’il est, indépendamment des intérêts de ceux qui le décrivent”, il n’empêche que “ces intérêts font eux-mêmes partie du monde”, et que “la vérité concernant ces interêts serait différente si ces intérêts étaient différents” (DL, 448). Toutefois Putnam reconnait “être d’accord” avec ce que fait remarquer la tradition réaliste: “lorsque je parle de quelque chose qui n’est pas causalement touché par mes propres intérêts, —par exemple, lorsque que je fais remarquer qu’il y a des millions d’espèces de fourmis dans le monde— je puis aussi dire que le monde serait le même de ce point de vue, même si je n’avais pas ces intérêts, n’avais pas donné cette description,etc.” Et c’est ce qui lui fait “déplorer la suggestion de James selon laquelle le monde que nous connaissons est dans une mesure indéterminée le produit de notre propre esprit” (DL, 448), ou encore ses “errements panpsychistes ou idéalistes”[19].

C’est ce refus du réductionnisme qui anime les critiques conjointes que fait Putnam du relativisme culturaliste rortyen et des définitions “formalistes” [20] de la vérité qui s’imaginent avoir “résolu” ou “dissous” le problème de la vérité (RR, 109, WL, 322 —que ce soit sous leur forme sémantique (Tarski), redondantiste (Ramsey, Field, RHF, 148), ou déflationniste (Horwich)[21].

 

“Je ne crois pas, ajoute Putnam, que nombreux seraient les philosophes qui considéreraient le problème de la vérité comme  résolu s’ils devaient admettre que la solution implique que ce qui est juste (rightness)  en un sens objectif quelconque, est une propriété culturellement relative. (En particulier, les relativistes culturels eux-mêmes ne cessent pas de croire que leurs propres conceptions sont justes simplement parce qu’ils ne reçoivent pas l’accord de leurs “pairs culturels” (WL, 324).

 

Ce qu’il s’agit donc de préserver, ce n’est pas seulement le réalisme interne, contre les menaces du relativisme, ou encore l’intuition réaliste (qui lui fait très tôt avoir des réserves à l’égard de la sémantique vérificationniste, anti-réaliste de Dummett) à propos des énoncés sur le passé, ou des énoncés qui semblent bien être totalement  transcendants à la reconnaissance (par exemple: “il ne se trouve pas y avoir d’extra-terrestre intelligent” (RP, 289, n5): c’est toute la théorie formaliste de la vérité qui parait désormais à Putnam oublier l’idée qu’il y a quelque chose de substantiel dans la notion de vérité, ainsi qu’ il le développe dans deux articles de Words and Life [22]

Putnam serait-il devenu, “à la fin du siècle, un réaliste métaphysique”, comme l’en accuse Rorty?

 

Vers un réalisme naturel ou pragmatique

Le problème devient désormais de maintenir l’intuition réaliste sans revenir au réalisme métaphysique. Ce qui se traduit chez Putnam par une accentuation de sa relation à Wittgenstein et de l’interprétation réaliste qui en est proposée (par des auteurs comme Cora Diamond), et aussi, dans la prise de conscience de plus en plus aigüe de la nécessité d’une réflexion sur la perception pour comprendre la manière dont le langage “s’accroche” au monde, laquelle le conduit à l’adoption d’un réalisme direct ou plutôt naturel ou “pragmatique” (dont les héros philosophiques s’appellent Witgenstein, Dewey et James, mais aussi Aristote, Husserl, et surtout Austin).

Selon Putnam, ce réalisme naturel implique de notre part que nous renoncions à l’idée fatale d’une “interface entre nos facultés cognitives et le monde extérieur —ou pour le dire autrement, l’idée que nos facultés cognitives ne peuvent pas atteindre complètement les objets eux-mêmes” (DL, 453). Le réaliste pragmatique est à l’inverse quelqu’un qui, “accomplissant un voyage du familier au familier”, est capable de comprendre que les choses du monde extérieur peuvent être réellement expérimentées  et pas seulement au sens où elles sont la  cause d’expériences, de qualia, ou d’impressions, qui seraient de simples affections de notre subjectivité[23].

Cet accent mis sur l’intuition réaliste explique non seulement pourquoi Putnam minimise les aspects “nominalistes” inhérents au pragmatisme jamesien, pour se concentrer sur son réalisme épistémologique (développé dans la théorie de l’empirisme radical), mais aussi pourquoi sans doute, il minimise, dans la définition jamesienne de la vérité les aspects subjectivistes ou directement épistémiques, pour insister sur la dimension peircienne (réaliste) injustement sous-estimée par les commentateurs.

Mais il s’agit aussi (pour éviter l’accusation de réalisme métaphysique) de redéfinir le réalisme sans la métaphysique. C’est le second point fort de la position de Putnam, et dont l’inspiration, ici encore est Wittgenstein ( interprété comme un réaliste et un pragmatiste); aussi après avoir pourtant dit que “s’il y a bien un intuition forte du “réalisme”dont on ne devrait pas se défaire, c’est que la vérité est  bien  en effet une propriété” (RHF, 149), voit-on Putnam soutenir à présent:

 

“L’autre solution correcte que celle qui consiste à penser à la vérité  comme à une “propriété substantielle” à la réaliste métaphysique, n’est pas de penser que nos énoncés sont de simples marques ou bruits que notre communauté nous a appris à associer à leurs conditions de vérification concluantes (comme dans la version dummettienne de l’ “anti-réaliste global”), ou à associer à un “comportement de paris” d’une manière qui soit “une fonction des circonstances observables” (comme dans la version de Horwich). L’autre solution correcte, c’est de reconnaître que les énoncés empiriques font déjà certains postulats sur le monde— toutes sortes de postulats très différents sur le monde— qu’ils contiennent ou non les mots “est vrai”. Ce qui est erroné dans le déflationnisme, c’est qu’il ne peut à proprement parler pas intégrer le truisme qui veut que certains postulats sur le monde sont (pas simplement assertables mais ) vrais. Ce qui est juste dans le déflationnisme c’est que si j’asserte que “il est vrai que  p”, alors j’asserte la même chose que si j’asserte simplement p. La confiance qui est la notre; lorsque nous faisons des énoncés sur le passé, que nous disons quelque chose dont le caractère juste ou erroné dépend dela manière dont les choses étaient alors  (lorsque nous soutenons, par exemple qu’ “il est vrai que Lizzie Borden a tué ses parents à la hache”), n’est pas quelque chose qui nécessite l’idée métaphysique qu’il y a une “propriété substantielle” dont l’existence sous-tend la possibilité même de notre utilisation du mot “vrai” “ (DL. 502-3)[24]. 

 

Le pragmatisme, les platitudes et la métaphysique.

Les lecteurs contemporains des pragmatistes semblent aujourd’hui plus enclins à reprendre l’examen de la question de la vérité qu’ils n’ont pu l’être à une certaine époque. C’est le cas de Putnam, mais même aussi de Rorty, dont on a pu montrer, point par point, que la plupart des assertions sur la vérité étaient en opposition directe avec celles de Peirce[25], et qui paraît plus soucieux désormais de défendre une position “minimaliste” sur la vérité, que d’enterrer une fois pour toutes le sujet. [26]

En revenant sur les analyses des pragmatistes sur la vérité et le réalisme, Putnam répare une injustice, mais il propose aussi une certaine lecture de l’héritage pragmatiste.

1) L’injustice méritait d’être réparée. Elle avait commencé à l’être par Ramsey [27] qui avait vu la fécondité de l’analyse pragmatiste de la vérité en termes de  croyances  et donc —en un sens non behavioriste réductionniste—de dispositions à l’action, et compris que le vrai ne se définissait pas uniquement  par l’utile: une croyance est une disposition à agir et est utile, si et seulement si la croyance est vraie”[28] . Si les pragmatistes refusent donc la correspondance, ils insistent bien (Peirce il est vrai, plus que James) sur le fait que la vérité est indépendante, jusqu’à un certain point, de ce que nous croyons (en tout cas de ce que chaque individu peut croire), et qu’en tout cas, la vérité impose un certain “accord” avec la réalité.

Putnam va plus loin: La théorie pragmatiste de la vérité, par les éléments épistémiques et réalistes qu’elle contient, évite les pièges des théories classiques (cohérentistes, correspondantistes, platoniciennes) de la vérité; en refusant d’ériger la vérité au rang d’une “propriété”, elle dédramatise à l’avance les théories de la vérité et opère une certaine déflation du concept. Mais cette critique féroce ne les empêche pas de tenir la vérité pour une affaire sérieuse, un  idéal  qui guide autant James que Peirce (MT, 142), et qui permet sans doute de comprendre (CCWJ, 181) pourquoi James fait une distinction entre ce qui est vrai  relativement et ce qui l’est  absolument  (MT, 143).

La vérité est donc peut-être une platitude, mais c’est une platitude sérieuse: s’il n’y a rien à dire sur la vérité, en revanche, il y a tout à faire du coté de l’analyse de nos croyances et de nos assertions. Comme l’a souligné S. Haack, la théorie pragmatiste évite ainsi le divorce de la théorie de la vérité d’avec l’épistémologie (qui, aux prises avec les théories classiques, engendre souvent la déception). Russell trouvait détestable cette insistance sur la valeur marchande des croyances vraies, et voyait dans le pragmatisme une philosophie d’ingénieurs, conduisant à “l’impiété cosmique”, ou au fascisme(cf.op.cit. 30). Mais cette insistance sur la valeur expérientielle des croyances vraies (des différences que cela induit avec des croyances fausses) nous rend l’important service de soulever la question négligée: que doit-on exactement attendre d’une théorie de la vérité?[29]

Au demeurant, en définissant la vérité non par l’utilité de ce que nous croyons en fait , mais par l’utilité de ce que croirait un agent  idéal, placé dans des conditions idéales, ou comme le dit Peirce “à la limite de l’enquête”, les pragmatistes indiquent que les critères d’utilité qu’ils visent sont d’abord et avant tout, des critères  cognitifs, ou épistémiques (ce qui n’est pas les limiter à des critères intellectualistes)[30] ; le vrai, c’est ce qui paye, mais ce qui paye cognitivement, dans un domaine où la valeur suprême (même si c’est plus net chez Peirce ou Dewey que chez James) est comprise comme une valeur de connaissance et d’enquête:

Que la vérité ne soit pas une propriété substantielle “lourde” n’implique donc pas que ce ne soit pas une norme: c’est là un aspect de la vérité que Putnam continue à considérer comme fondamental (RP, 243) : la vérité est ce que vise l’enquête, laquelle obéiit donc à des “normes de rationalité”. Cette importance de l’enquête, chez Peirce comme chez Dewey, Putnam la revendique désormais lui aussi, parce qu’elle lui paraît offrir tout ce que la théorie carnapienne de l’enquête n’offrait pas: la prise en compte de l’expérience, le modèle intersubjectif d’une communauté de chercheurs qui travaillent à partir de maximes et non d’algorithmes (POQ, 71), en ayant en vue les “problème réels pour la vie humaine (ibid.). Pour un pragmatiste, même la notion de “vérité” n’a aucun sens dans la “solitude morale” (POQ, 72).

Le pragmatisme paraît ainsi à Putnam le meilleur rempart contre le scepticisme et contre la crainte de la “perte du monde”; mais il évite aussi par sa position critique les certitudes dogmatiques ( cf. la distinction peircienne entre doute réel et doute fictif, ainsi que l’affirmation du faillibilisme ou d’un “Sens Commun critique”)[31]. Que l’on puisse être à la fois faillibiliste et  sceptique constitue peut-être la  vision de génie du pragmatisme américain (WL, 152).

2) Après s’être surtout concentrés sur l’importance de l’apport des pragmatistes dans le domaine de l’éthique et de la pratique, les derniers textes de Putnam semblent s’ouvrir davantage à ces questions, qui ne peuvent que contribuer à mieux faire ressortir la fécondité et la complexité du pragmatisme. Mais jusqu’à quel point cette lecture est-elle fidèle à l’héritage pragmatiste?

Depuis RHF, et son rapprochement avec les pragmatistes mais aussi avec des auteurs comme Wittgenstein ou Austin en apporte la confirmation, on connait  l’esprit qui anime la démarche de Putnam en philosophie:

 

“Accepter l’”image” manifeste, le  Lebenswelt, le monde tel que nous en faisons réellement l’expérience, exige de nous qui avons reçu (pour le meilleur ou pour le pire) une formation philosophique que nous regagnions et notre sens du mystère (car il est  bel et bien mystérieux que quelque chose puisse être à la fois  dans le monde et  à propos  du monde) et notre sens de la banalité (car il est banal, après tout, que certaines idées soient “déraisonnables”—ce sont seulement les notions étranges d’”objectivité et de “subjectivité” que nous avons reçues de l’ontologie et de l’épistémologie qui nous rendent inaptes à séjourner dans le banal”(RHF, 270).

 

Putnam a sûrement raison de penser que les pragmatistes, attentifs qu’ils étaient à l’expérience, à la compréhension, à ce que l’évidence peut avoir d’ “impondérable”(RP, 259), en un mot aux formes de vie, peuvent l’accompagner, ainsi que Wittgenstein et Austin dans ce “voyage du familier au familier”. Sans doute aussi a-t-il raison de penser que ce retour doit, d’une manière ou d’une autre, consister en un retour à une forme de réalisme[32], voire de réalisme naturel. Au demeurant, Putnam est conscient de la difficulté de ces retrouvailles avec une “deuxième naïveté”, et notamment des problèmes qui se posent à une théorie de la perception s’inscrivant dans une position de ce genre (cf. DL ou POQ, 66sq.). Bouveresse, —qui pense néanmoins que “la direction que Putnam  emprunte dans ses réflexions sur le problème de la perception est pour l’essentiel la bonne” (LPR, .26)— les résume assez bien:  Putnam pense que “nous pouvons laisser à la science toute latitude pour décrire les conditions matérielles et physiologiques dont dépendent la posession et l’exercice de nos capacités perceptuelles et conceptuelles, à la condition qu’elle ne prétende pas avoir expliqué par là ces capacités elles mêmes. Mais ce qui, dans ces conditions reste obscur est le sens auquel nous pouvons dire néanmoins qu’elle nous fournit une explication au moins partielle de ce qu’elles sont”. Ainsi, “on peut se demander si le choix qui est offert à une “science de l’esprit” pour autant qu’il puisse exister une chose de ce genre, n’est pas finalement entre les expliquer de la façon que Putnam appelle “réductive, et ne pas prétendre les expliquer de quelque façon que ce soit”(LPR, 19).

Expliquer sans réduire, est sûrement souhaitable: (et Putnam dit que s’il y a bien quelque chose que “ses collègues wittgensteiniens n’ont jamais réussi à lui ôter, c’est son désir d’expliquer ”). Mais est-ce possible, à moins de renoncer, d’une manière ou d’une autre, à l’explication  scientifique?  De toute évidence, les pragmatistes classiques (Peirce et Dewey) offraient peut-être des “maximes” plus que des “algorithmes” en matière d’enquête, mais ils étaient aussi soucieux d’en spécifier les formes (inductive, déductive, et abductive), comme de dégager celle, parmi les méthodes, qui serait à même d’aider “l’intelligence scientifique” à accéder à la vérité, et celle-ci est bien dite “méthode scientifique”, quel que soit le sens “généreux” (POQ) que les pragmatistes donnent à ce mot, et soumise à des critiques et à des contrôles stricts. Plus généralement, se pose donc  le problème des relations entre le pragmatisme et la science, et en termes putnamiens celui des relations entre le réalisme “naturel” et le réalisme scientifique: les réponses apportées par l’un suffiront-elles à lever les difficultés soulevées par l’autre?

Avec raison, Putnam pense que l’un des maux dont la philosophie a le plus de mal à se défaire est celui qui consiste à jeter le bébé avec l’eau du bain et à sauter d’une mode à l’autre (de préférence celle qui lui est le plus opposée); s’il voit un mérite dans le pragmatisme, c’est celui de nous éviter la mode consistant à passer des excès du réalisme métaphysique à ceux de l’anti-réalisme, ou de l’irréalisme, de l’absolutimes ontologique, épistémologique ou éthique au relativisme radical ou nihiliste.  Mais on peut se demander s’il ne sacrifie pas lui-même à la mode, en jetant avec l’eau du bain (le réalisme métaphysique) le bébé (toute interrogation métaphysique quelle qu’elle soit). Putnam cite souvent ce passage de  Culture and Value où Wittgenstein montre que renoncer à une exigence métaphysique qui se méprend sur la nature de notre besoin réel ne nous oblige pas à renoncer à quoi que ce soit de plus; en un mot, abandonner une mythologie ne veut pas dire, abandonner ce dont  elle était une mythologie. [33] Putnam l’interprète comme signifiant que “nous pouvons, de l’intérieur de notre pensée et de nos vies, refuser de la traiter comme une superstition sans penser que nous ayons à fournir la garantie de l’extérieur que recherche le réalisme métaphysique” (RP, 262).  Et c’est du reste ainsi qu’il présente la fausse alternative selon lui du débat entre “réalistes” et “anti-réalistes” sur la nécessité mathématique, qui consiste à nous faire croire que nous sommes confrontés à un choix forcé entre soit (1) qu’il y a quelque chose à côté de  nos pratiques de calcul et de déduction qui sous tend ces pratiques et garantit leurs résultats; ou (2) qu’il n’y a  rien que ce que nous disons et faisons, et la nécessité que nous percevons dans ces pratiques est une pure et simple illusion. Ce que nous montre Wittgenstein, ici comme ailleurs, c’est que c’est une erreur de choisir soit le “quelque chose à coté” soit la branche “rien que” du dilemme” (DL, 509).  Et pour sa part, Putnam refuse lui aussi de choisir.

 Mais le pouvons-nous vraiment? Et est-ce même là une attitude pragmatiste? Comme Wittgenstein, Peirce était soucieux d’éviter les pièges métaphysiques et comme lui, d’éviter tout réductionnisme[34], mais il considérait quant à lui qu’il était impossible d’éluder cette question qui se pose à tout réalisme contextuel, comme le rappelait V.Descombes[35] à propos de Rorty: dès lors que nous considérons que “toute chose est prise sous une certaine description, comment faire la différence entre la chose prise selon une première description et la même chose prise selon une autre description sans rapports avec la première?” On retrouve ici “la différence que faisaient les scolastiques entre  distinctio formalis a parte rei et distinctio rationis cum fundamento in re. (à savoir la différence entre la chose prise selon une première description et la même chose prise selon une autre description sans rapports avec la première: cette différence est elle seulement logique, puisqu’elle n’est pas, après tout, la différence entre une chose et une autre chose? Ou bien s’agit-il d’une différence réelle, puisque c’est une différence autorisant des prédications opposées?”. Comme le remarque Descombes, “le réalisme dont il s’agit maintenant, n’a rien à voir avec celui dont il est question en Epistémologie. Il ne s’agit plus d’opposer un réalisme à un idéalisme, une théorie de la vérité comme adéquation à une théorie de la vérité comme cohérence. Le pragmatisme, même s’il déclare nulle et non avenue la question épistémologique de savoir si notre esprit reflète un ordre des choses telles qu’elles sont en soi, n’en doit pas moins se prononcer sur une question plus ancienne, celle dans laquelle la détermination philosophique doit se faire dans un sens réaliste ou dans un sens nominaliste” (op.cit.p. 76).

Peirce  en était pour sa part convaincu:  si l’alternative mental non mental est une fausse alternative dans l’opposition des réalistes et des anti-réalistes, ce n’est pas dire1) qu’il n’y ait pas d’autres solutions réalistes possibles en dehors du platonisme— et pour sa part il choisit le réalisme scotiste[36],  ni 2) qu’il n’y ait pas une alternative réelle; et c’est celle qui est commandée par la question de savoir si notre pensée porte ou non sur des objets réels; étant donné que “le réel est ce qui signifie quelque chose de réel” comment déterminer  le fundamentum universalitatis, la nature de l’objet de ce qui est pensé” (6.377)

Est-ce à dire qu’il faille aller si loin dans l’affirmation d’un lien entre pragmatisme et réalisme que l’on doive soutenir que “jamais le pragmaticisme n’aurait pu entrer dans la tête de quelqu’un qui n’eût pas été convaincu de l’existence d’universaux réels?”(5.503)? Peut-être pas. Mais l’on ne peut s’empêcher de penser avec Peirce que :

 

“Tant qu’il y aura une querelle entre le nominalisme et le réalisme, tant que la position que nous soutenons sur cette question ne sera pas déterminée par une démonstration incontestable, mais sera plus ou moins affaire d’inclination, tout homme qui en vient à ressentir la profonde hostilité qui règne entre les deux tendances, s’il est un homme, s’engagera pour l’un ou pour l’autre, et ne pourra pas plus obéïr aux deux qu’il ne peut servir à la fois Dieu et le Veau d’or. Si ces deux élans se neutralisent en lui, c’est qu’il ne lui restera plus dès lors de grande motivation intellectuelle”(8.38).

 

Certes, on peut comprendre que cette controverse reçoive peu d’écho, car il ne faut pas “s’attendre à ce qu’une question difficile reçoive une réponse avant de se présenter sous une forme pratique. Si quelqu’un avait la chance de découvrir la solution, personne d’autre ne prendrait la peine de la comprendre”. Mais, ajoute Peirce, si un pragmatiste réaliste a le devoir d’au moins l’examiner, c’est parce que “bien que la question du réalisme et du nominalisme ait ses racines dans les technicités de la logique, ses branches s’étendent à toute notre vie”(8.38):

En ce sens retenir l’héritage pragmatiste, pratique et réaliste, c’est aussi se rappeler — si l’on veut introduire en philosophie toutes les formes de vie—que du côté de la logique, de la science, mais aussi de la métaphysique, surtout une fois celle-ci “purifiée”, il reste encore beaucoup à faire. 

 

 

 

 

 

 



[1] C’est un aspect sur lequel H. Putnam a beaucoup insisté; voir notamment Realism with a Human Face, (RHF), Harvard UP, Cambridge, 1990, tr.fr.C.Tiercelin, Le réalisme  à visage humain, Paris, Seuil, 1992, Renewing Philosophy (RPh), Harvard UP, Cambridge, 1992, Words and Life, (WL), Harvard UP, Cambridge,  1994; j’ai examiné le sens de cette lecture de l’héritage pragmatiste dans “Un pragmatisme conséquent?” Critique, août-sept.1994, 642-660.

[2]. The Cambridge Companion to William James (CCWJ), R. A. Putnam ed., Cambridge UP, Cambridge, 1997, p. 166. L’interprétation enthousiaste, que fait de James D. Lapoujade (“William James: le pragmatisme et la libération du mouvement” Revue Philosophique, n°3, 1997, p. 305-313) est l’illustration de ce qu’observe Putnam à propos de l’irrationalisme. Ainsi, on supposerait, à tort, que “l’originalité du pragmatisme de James consiste à donner une nouvelle définition de la vérité”, et que “par conséquent, son objectif est principalement épistémologique(sic)”(p. 306); alors qu’en réalité, il s’agirait uniquement pour James de “penser le mouvement”(p. 308), la création; bref,  “la notion de vérité n’intéresse pas James” (p. 313), et “le pragmatisme tel qu’il l’entend consiste à liquider la notion de vérité en tant que valeur”. Les métaphysiciens et moralistes qui s’échinent depuis des siècles sur le problème de la vérité seront ravis d’apprendre qu’ils travaillaient en toute impunité sur la chasse gardée des épistémologues; quant aux (nombreux) commentateurs qui, refusant de suivre une méthode (bien éprouvée, comme le note Putnam, par Russell), consistant à passer certains textes (pourtant rebattus) de James sous silence, et qui se contentent de lire ce que dit James en divers endroits, ils seront soulagés d’apprendre qu’il n’y avait pas lieu d’essayer de faire tenir ensemble des propos qui, s’ils ne sont pas franchement contradictoires, soulèvent bel et bien des difficultés philosophiques majeures, sinon “fatales” (Putnam), et qu’il n’y avait, en définitive, aucun problème. Mais au diable les “pédants momifiés” (Peirce) et vive la création!

[3]. Voir notamment, outre l’étude sur James déjà citée,  les trois “Dewey Lectures”(DL), The Journal of Philosophy, vol. XCI, n°9, sept. 1994, 445-517, Pragmatism, an open question,(POQ) Blackwell, Oxford, 1995, ainsi que les réponses à S. Blackburn et M. Dummett, in Reading Putnam (RP), (P. Clark & B. Hale eds.), Blackwell, Oxford, 1994.

[4] par ex. Mind, Language and Reality, Philosophical Papers (vol.2), Cambridge UP, Cambridge, 1975, (p.236 pour Dewey), et Peirce (p. ix, 272-3, 290), Meaning and the Moral Sciences, Routledge & Kegan Paul, Londres 1978,  (p1), Reason, Truth and History, (RTH), Cambridge UP, Cambridge, 1981, tr.fr. A. Gerschenfeld Raison, vérité et histoire, Minuit, Paris, 1984, p.62sq.

[5] Cf.aussi Representation and Reality, (RR), MIT Press, Harvard, 1988, tr.fr. C.Tiercelin, Représentation et réalité, Gallimard, Paris, 1990, p. 186sq. sur l’insuffisance de la métaphore du “moule à gâteau” qui nie  (plutôt qu’elle n’explique) le phénomène de relativité conceptuelle. 

[6].L’illusion fondamentale consistant à donner une définition de l’universel en dehors de la pensée et du langage et à croire que l’on peut concevoir l’existence des choses “indépendamment de toute relation à la conception qu’en a l’esprit” (8.13) (Collected Papers, Harvard UP, Cambridge, 1931-58 (8 vols.), indiqués par n° de volume puis de paragraphe). cf (8.10; 5.470; 5.503; 1.21; 2.115. Pour plus de détails, je me permets de renvoyer à  C. Tiercelin, C.S. Peirce et le pragmatisme, PUF, 1993, p. 11 sq. “le pragmatisme comme thérapeutique” et à  La pensée-signe: études sur Peirce, Nîmes, J. Chambon ed., 1993, p. 56sq.

[7] R. Almeder, ‘Peirce’s thirteen theories of truth’, Transactions of the CS. Peirce Soc., XXI, 1985, 7-34.

[8]. Selon R. Kirkham, on peut trouver sous sa plume des affirmations qui vont dans le sens du subjectivisme extrême (MT, 129), de l’objectivisme (MT, 105), d’un relativisme, qui n’implique pourtant pas un refus de l’absolutivisme (MT, 142-143), d’une théorie correspondantiste (P, 96), d’une théorie cohérentiste (P.34-37; MT, 104-105), et d’une théorie consensuelle à la Peirce (MT, 142-143). Theories of Truth, M.I.T, Harvard, 1992, p.88. MT suivi du numéro de page,  renvoie à  The Meaning of Truth (1909) et  P àPragmatism (1907), A. J. Ayer ed. 1975, The Works of Willizam James (dir. F. Burkhardt, F. Bowers et  I. Skrupelis), Harvard UP, Cambridge, Mass.1975-1987. Les paginations données en français renvoient à L’idée de vérité, L. Veil et M. David, Paris, Alcan, 1913, et Le Pragmatisme, E. Le Brun, Paris, Flammarion, 1914.

[9]aussi est-il prêt à dire (ce que refuse Peirce) que dans le cas où l’on n’a pas de preuves qui nous permettent de décider entre deux conceptions rivales, le choix peut se faire en termes esthétiques, (et donc subjectifs) de goût, d’ “élégance”, ou d’ “économie” (P, fr.154).

[10]Et c’est ce qui l’amènera à dire dans la Volonté de Croire (trad. franç. par L. Moulin, Paris, Flammarion, 1916 de The Will to Believe (1897), Works(E. H. Madden ed., 1979.), que les croyances (cette fois au sens religieux du terme) sont légitimes, bien que non susceptibles d’être vérifiées ou falsifiées, dès lors qu’elles ont des effets salutaires sur la conduite du croyant, et à contester la position désormais classique, soutenue par Clifford selon laquelle: “C’est un tort, pour tous, partout et toujours, que de croire quoi que ce soit sur la base de preuves insuffisantes” (trad. fr. 28).

[11] Sur les raisons de l’instabilité de ces méthodes, voir Peirce et le pragmatisme, op.cit., p.89 sq.

[12] Logic, The Theory of Inquiry, 1938, p.345.

[13] “Two English Critics”, publié par l’Albany Review  de janvier 1908, et repris dans MT,  fr. 237-248.

[14]. B. Russell, Ecrits Philosophiques,  intr. et trad. J. P. Cometti, et F. Clementz),  PUF, 1997, 173 sq.

[15]Voir aussi les remarques de  J.-P. Cometti et F. Clementz,  op.cit. 44.

[16]“The pragmatist theory of truth”, British Journal  Phil. of  Sc. , 27, 1976, 231-249, 237.

[17] cf. aussi S. Haack, art.cit., 234: et A. J. Ayer, introd à MT et à P, 1975 p. xxii.

[18]La notion d’une limite idéale de l’enquête, où cohérence et correspondance pourraient converger, ne résout pas en effet  tous les problèmes: en quoi consiste-t-elle au juste? Y aura-t-il jamais un état dans lequel on pourrait disposer de toutes les données disponibles? Et en quoi empêcherait-elle la situation suivante: que la communauté idéale des chercheurs dispose de toutes les données et converge vers une théorie unique, qui se révèle malgré tout être fausse? Enfin, l’accord même idéal des chercheurs remplace-t-il la vérité? Toutefois, il n’est pas sûr que la position de Peirce ait été correctement interprétée; cf. Peirce et le pragmatisme,op.cit. 108sq.

[19] cf. la conférence VII, “Pragmatism and Humanism”, in MT., où James soutient que “nous créons les sujets de nos propositions vraies comme de nos propositions fausses”. Et Putnam ajoute: “Je regrette d’avoir moi-même parlé de “dépendance par rapport à l’esprit” en relation avec ces questions dans RTH, 1981. (DL, 448, n7).  Voir aussi ses réserves à l’égard de James, n10, DL, 449 et surtout son analyse dans CCWJ, où après avoir souligné la richesse de l’analyse jamesienne de la vérité, il n’en conclut pas moins qu’elle est “sérieusement viciée” (182), en ce qu’elle finit par laisser penser que “la valeur de vérité de tout énoncé sur le passé  dépend de ce qui se produit dans le futur “, nous conduisant finalement à un“cul de sac” (182-183). Voir aussi sur ces difficultés de James, S. Haack, “Can James’s Theory of Truth be Made More Satisfactory?” Transactions of the C. S. Peirce Soc.,  1984, vol. XX, n°3, .270-278, et sur l’accusation par Russell de “subjectivisme” et de “psychologisme” adressée à James et au pragmatisme, op.cit.13). Notons que Peirce reprochait déjà à James “d’accepter une philosophie si imprégnée de vie qu’elle en devienne infectée de semences mortelles, avec des notions telles que …la mutabilité du vrai” (6.485).

[20] James accusait aussi Russell de donner une définition en termes logiques, mathématiques et abstraits de la vérité, là où l’on a affaire à des “valeurs” (MT, 148-149).

[21]. Brièvement : sous cette rubrique, Putnam regoupe une famille de théories contemporaines de la vérité dites “déflationnistes” ou “minimalistes”, héritières de deux courants fondamentaux: 1) Ramsey (“Truth and Probability”, 1926): dire que P est vrai, ce n’est pas dire autre chose que P; “vrai” est un prédicat “redondant” qui n’ajoute rien à l’assertion d’une phrase. 2) Tarski (1932) et sa conception “sémantique” qui suit le schéma décitationnel suivant (ou Convention T): (T) “P” est vrai ssi p.

La “théorie décitationnelle de la vérité” consiste à dire (bien que Tarski reste pour sa part neutre sur ce qui est dit), qu’il n’y a rien de plus dans le concept de vérité que ce que contiennent le schéma ddécitationnel et la convention T. C’est en ce sens une forme de déflationnisme: P. Horwich (Truth,  Blackwell, Oxford, 1991) propose une autre version (“minimaliste”) qui part du schéma d’équivalence suivant:

Il est vrai que P ssi P; P; La proposition  que P est vraie. Ainsi, la vérité n’exprime aucune propriété (ni de correspondance, ni de cohérence, ni d’assertabilité garantie). Ce n’est qu’un “dispositif logique” qui a une valeur purement formelle ou triviale, ce que conteste Putnam (du moins à ce stade), bien qu’il reconnaisse aussi, comme on le verra, tous les mérites de ces analyses (et notamment celles de Tarski).

[22]. “On Truth”, et “Does the Disquotational Theory of Truth Solve all problems?”.

[23] Sur la position de Putnam, voir J. Bouveresse, Langage, perception et réalité, Nîmes, ed. J. Chambon, 1995, p. 14sq.

[24]. Voir la manière dont Putnam applique ceci à l’interprétation des énoncés sur le passé du type “César s’est fait raser le jour où il a traversé le Rubicon”, in RP, 258sq.

[25] S. Haack, “We, pragmatists...Peirce and Rorty in conversation”, The Partisan Review, 1997, vol.LXIV, n°1, P. 91-107.

[26] Sans doute est-ce en partie ce qui explique son souci  (légitime ou non) de comparer sa position à celle de Davidson. voir par ex. “Is Truth a Goal of Enquiry: Davidson vs Wright”, The Philosophical Quarterly, 1995, p. 281-300.

[27]F. P. Ramsey,  On Truth, N. Rescher et U. Majer eds., Episteme 16, Kluwer Academic Publishers, 1991, p 92.

[28] Philosophical Papers, (ed. D.H. Mellor), Cambridge UP, Cambridge, 1990, p.27; ce qui est l’exact opposé de ce que soutient Lapoujade:”être pragmatique pour James signifie que, désormais, la vérité est évaluée en fonction du mouvement de création qu’elle libère, et non le mouvement jugé en fonction de la vérité qu’il produit”(art.cit.p.313).

[29]. art.cit.p.247-8.

[30]. A cet égard, il est tout aussi caricatural, comme on le fait encore souvent, de sous-estimer chez Peirce, le rôle que jouent l’instinct, mais aussi les sentiments et les affects dans la connaissance (cf. La pensée-signe, p.377 sq.), que d’opposer “pragmatique” et “cognitif” chez James: “[Le pragmatisme] paraît à la plupart des gens exclure les intérêts intellectuels, mais tout ce qu’il  signifie, c’est de dire que ce sont des intérêts subjectifs comme tous les autres…Le test pragmatique de la signification d’un concept réside quelque part dans une  expérience possible, mais l’expérience peut être une observation pure sans aucune espèce d’usage “pratique”. Elle peut  cependant avoir un usage extraordinairement théorique, celui de nous dire quel concept est vrai…” in R. B. Perry, The Thought and Character of William James, Atlantic, Little, Brown, 1935, vol.2, p.475).

[31] cf. sur le faillibilisme  Peirce et le pragmatisme, op;cit. 111-114, et sur le Sens commun critique (inspiré et de Th. Reid et de Kant),  la pensée-signe,op.cit.342-362.

[32]“Faire revivre et redonner du sang neuf à l’esprit réaliste constitue, dans l’immédiat, la tâche par excellence du philosophe” (RHF, 163).

[33] Blackwell, Oxford, 1990, p. 83.

[34]La  parenté entre les deux auteurs avait été remarquablement mise en lumière par Rorty dans son fameux article, “Pragmatism, categories and language”, Philosophical Review, 70, 1961, 197-223 . J. Bouveresse a développé ces thèmes dans  Le mythe de l’intériorité,Minuit, 1976, P. 577 sq.

 [35]“Something différent” (Remarques sur le pragmatisme de Richard Rorty), in Lire Rorty, ed. L’éclat, 1992, 57-76, p. 76.

[36]Je me permets de renvoyer sur ce point à “Le vague est-il réel? Sur le réalisme de Peirce”,  Philosophie n)10, 1986. Je continue à trouver proprement stupéfiant qu’aucun philosophe contemporain (en dehors du cercle des “Peirce-scholars”) intéressé au débat réalisme-anti réalisme, et apparemment pas davantage Putnam (qui a pourtant démontré son érudition sur d’autres aspects de la pensée de Peirce) ne se sente tenu (ou même simplement curieux) semble-t-il, de regarder de plus près la position extrêmement subtile de Peirce (et au passage des médiévaux) sur cette question. Ici encore, Putnam ne tomberait-il pas lui-même dans ce travers qu’il dénonce? “Rejeter une controverse, sans examiner les thèses en présence revient pratiquement à  défendre  l’une d’entre elles (habituellement celle que l’on qualifie d’”anti-métaphysique”) (RHF, 133).